Alexandre Grothendieck, un mathématicien en quête d'absolu

Alexandre Grothendieck, génie des mathématiques du XXe siècle et pionnier du militantisme écologiste, a passé la fin sa vie en ermite dans les Pyrénées où il a rédigé de nombreux écrits inédits. Un important ensemble de ses manuscrits vient rejoindre les collections de la BnF offrant l’opportunité aux chercheurs d’en percer les secrets.
 
Fonds Alexandre Grothendieck - 2023 - Élie Ludwig / BnF

 

Des dizaines de milliers de pages, remplies d’une écriture plate et déliée, tantôt aérée, tantôt saturant l’espace de la feuille, enfermées dans des emboîtages en toile sur mesure, déroulant inlassablement les méandres d’une pensée vertigineuse, mêlant structures mathématiques, réflexions métaphysiques et visions mystiques. Ainsi apparaît l’œuvre posthume d’Alexandre Grothendieck (1928-2014), mathématicien de génie qui fut également militant écologiste de la première heure, avant de se retirer du monde pour se consacrer à la méditation et à l’élucidation des mystères du cosmos. Les deux sommes manuscrites qu’il a léguées à la Bibliothèque nationale de France, complétées par un don de ses enfants, offrent un éclairage inédit sur l’œuvre d’un grand scientifique du XXe siècle qui, loin de se cantonner à la rénovation de la géométrie de son temps, embrassa d’un même regard visionnaire la genèse et l’ordonnancement du cosmos, les schèmes de la psyché humaine et divine, et surtout, l’obsédant problème du Mal sur terre.

Une nouvelle conception des mathématiques

Né en 1928 à Berlin d’un père juif ukrainien et d’une mère allemande, dans un milieu anarchiste révolutionnaire, Alexandre Grothendieck connut une enfance solitaire, tôt marquée par l’exil et les persécutions, ce qui ne l’empêcha pas de manifester précocement d’exceptionnelles dispositions pour les mathématiques. Entre 1948 et 1970, il s’investit corps et âme dans cette discipline, intégrant le célèbre groupe « Bourbaki » qui ambitionnait de restructurer de fond en comble la « reine des sciences » en promouvant rigueur et abstraction dans toutes ses branches, pour tendre à une vision unificatrice. La renommée de l’œuvre mathématique de Grothendieck s’est principalement manifestée dans le domaine de la géométrie algébrique. À l’aide d’un nouveau cadre théorique et de généralisations audacieuses de notions héritées de ses prédécesseurs, il parvient à élargir considérablement le champ de l’intuition géométrique et à tisser des liens insoupçonnés entre algèbre, topologie et théorie des nombres, autour d’une conception renouvelée de la notion d’espace. L’importance de ses travaux lui vaudra la médaille Fields en 1966, suivi du prix Crafoord en 1988, qu’il refusera.

 

Portrait d’Alexandre Grothendieck - Patrick Siccoli / Sipa Press

Une vision éco-cosmique de l’humanité

À partir des années 1970, Grothendieck rompt progressivement avec le monde de la recherche scientifique pour se tourner vers le militantisme écologiste, et adopte un mode de vie de plus en plus solitaire et reclus, d’abord dans un village de l’Hérault puis en Ariège. Dans l’isolement de son ermitage de Lasserre, il s’adonne alors à la réflexion métaphysique et à l’écriture introspective, rédigeant successivement La Clé des Songes (1987-1988), méditation sur le rêve et l’expérience mystique, puis d’interminables Réflexions sur la Vie et le Cosmos (1992-1997), mettant en scène le combat désespéré d’une âme inquiète contre la figure tutélaire du Diable. Les manuscrits acquis par la BnF révèlent ainsi une toute autre facette, inédite, de sa quête obstinée de justice et de vérité.

Jocelyn Monchamp

Article paru dans Chroniques n°99, janvier-mars 2024

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