Catel, la mémoire des femmes

L’autrice de bande dessinée et illustratrice Catel Muller est invitée à dialoguer avec Mélanie Chalendon le 13 juin 2023, dans le cadre des masterclasses co-organisées par la BnF, France Culture et le CNL. 

Les « clandestines de l’Histoire », série graphique de Catel Muller - Catel Muller, avec l’aimable autorisation de Casterman


Catel s’est imposée en vingt ans comme une figure singulière et majeure de la bande dessinée française, porteuse d’un style immédiatement identifiable. De son œuvre toujours ouverte se dégage une ligne de force, la mémoire des femmes. Cette Alsacienne, née le 27 août 1964, est formée à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, dans l’atelier d’illustration créé par Claude Lapointe, qui a vu passer Blutch, Lisa Mandel, Mathieu Sapin, Marjane Satrapi, Lucie Durbiano… Elle fait ses premiers pas dans la presse de Bayard jeunesse et en illustrant des romans pour enfants, avec la sorcière Philomène, Lola ou Passe-Montagne, ainsi que des documentaires comme L’Encyclo des filles.

Les « clandestines de l’Histoire »

En 1999, elle entre en bande dessinée aux Humanoïdes associés, avec le roman graphique Lucie s’en soucie. Lucie, jeune femme active, diplômée et célibataire peut être vue comme le double féministe du Monsieur Jean de Dupuy et Berberian qui pose, lui aussi, un regard tendre sur l’adulte contemporain. Après de belles séries jeunesse comme Les Papooses (7 tomes entre 2003 et 2005) ou Bob et Blop (4 tomes de 2003 à 2004), elle collabore avec le grand scénariste José-Louis Bocquet pour le Édith Piaf de BDMusic. C’est « un coup de foudre professionnel, amical puis amoureux ». Ensemble, ils réalisent une série de romans graphiques majeurs, sous forme de biographies de femmes méconnues mais essentielles, que Catel nomme les « clandestines de l’Histoire ». Kiki de Montparnasse (2007), Olympe de Gouges (2012), Joséphine Baker (2016) et enfin Alice Guy (2021) s’animent dans le « style Catel » : trait souple, noirs intenses, personnages aux visages ovales souriants, aux yeux malicieux prenant à témoin le lecteur, dialogues narratifs, décors non systématiques. Dans Le Roman des Goscinny (2019), jouant des bichromies pour alterner les époques, Catel se dessine échangeant avec Anne Goscinny sur la vie de René, comme deux copines face aux lecteurs. C’est l’unique biographie d’un homme dans son oeuvre jusqu’ici. Entretemps, il y a eu d’autres destins de femmes : la « Monument women » Rose Valland capitaine Beaux-arts (2009), la féministe Ainsi soit Benoîte Groult (2013), la jeune Mylène Demongeot en Ukraine dans Adieu Kharkov (2015).

Une autrice aujourd’hui reconnue

Elle reçoit en 2014 le prix Artemisia, dédié aux autrices de bande dessinée, après deux prix du public à Angoulême (2004, 2008), un grand prix RTL (2007) et le très important grand prix belge Diagonale-Le Soir en 2018. Ces reconnaissances du grand public comme de la profession et de la critique en font la première femme exposée au musée de la BD de Bruxelles en 2018. Elle n’a pas renoncé aux séries, avec le personnage de Linotte (Dupuis), puis Le Monde de Lucrèce sur un scénario d’Anne Goscinny (Gallimard jeunesse). Signature aujourd’hui connue et reconnue, Catel reste une autrice engagée qui a collaboré au collectif En chemin elle rencontre (2011) pour les droits des femmes avec Amnesty international, produit des expositions contre le sexisme et pour l’égalité d’accès aux métiers, et toujours met en avant ses « clandestines de l’Histoire », figures invisibilisées qui ont pourtant laissé une trace dans l’humanité. Nul doute que Catel, qui « fait partie d’une génération qui peut servir de modèle aux suivantes », ne sera pas oubliée.

Catel Muller, 2021 - © Mathieu Zazzo

Olivier Piffault

Article paru dans Chroniques n° 97, avril -juillet 2023