Habiter Richelieu

Au moment où la rénovation du site Richelieu arrive à son terme, la série de portraits « Habiter Richelieu » donne à voir la petite et de la grande histoire d’un bâtiment patrimonial et de sa restauration. On y rencontre celles et ceux qui ont organisé le déménagement des collections, choisi les ouvrages de la salle Ovale, restauré des sculptures, imaginé le jardin, préparé la réouverture du musée ou encore travaillé à l’accueil des publics.

 

© Béatrice Lucchese / BnF

 

Elizabeth Béguery dans la salle Ovale

Quand elle entre dans la salle, l’espace tout en courbes, l’odeur des livres anciens rangés dans les coursives supérieures, la lumière qui descend de la grande verrière, tout lui donne l’impression d’être invitée au cœur des collections. Malgré son imposante dimension, pour elle, la salle Ovale est un endroit apaisant, chaleureux, et pas du tout intimidant.

 

Elizabeth Béguery avec une partie de l’intégrale Carl Barks - © Béatrice Lucchese / BnF

 

Elle fait partie des bibliothécaires qui ont réfléchi et composé l’offre documentaire de cette salle. Leur mission était d’ouvrir la bibliothèque à un large public. Outre un lieu d’orientation bibliographique pour les nouveaux venus dans la recherche, une importante sélection d’ouvrages, 6000 imprimés, permettra de partir à la découverte des collections du site Richelieu. La salle Ovale accueillera aussi, ce dont Elizabeth Béguery est très heureuse, un grand choix de livres à destination des enfants. Elle évalue pour le moment le nombre de titres pour la jeunesse (hors BD) à 1300 et il y aura environ 3300 BD spécifiquement pour les enfants. Le public adulte pourra aussi librement consulter environ 5500 bandes dessinés, principalement franco-belge, ce qui sera également une première dans la salle Ovale.

Casse tête 

En ce mois de juin, elle explique que les bibliothécaires et les magasiniers sont encore occupés à classer les livres sur les étagères.

Que placer à l’entrée de la salle et quelles collections installer dans le fond ? Comment distribuer et faire voisiner le plus judicieusement possible l’ensemble des ouvrages? Elle dit que l’implantation documentaire est un vrai casse-tête, elle nécessite une fine réflexion et quelques renoncements.

Ainsi, certains enfants seront peut-être déçus de ne pas trouver les 100 tomes et des poussières du manga One piece ou de Naruto. Ces monumentales séries ne seront pas présentes sur les étagères destinées au genre, les bibliothécaires ayant plutôt privilégié la diversité des titres.

Elle n’est pas spécialiste de littérature enfantine mais quand on lui demande quels livres présents dans le fonds elle aimerait bien citer, elle pense à ses lectures d’enfance. Elle montre l’intégrale de l’œuvre de Carl Barks. Elle est d’ailleurs très satisfaite que la salle Ovale propose à la curiosité de ses lectrices et lecteurs des séries dans leur exhaustivité. Chacun sait combien il est parfois difficile, en bibliothèque, de mettre la main sur un tome toujours emprunté ou mystérieusement disparu.

 

Mais revenons aux lectures d’enfance

Elizabeth Béguery évoque la série des bandes dessinées consacrées à Donald Duck, oncle Picsou et leur entourage. Elle dit que toutes les histoires écrites sous licence Disney n’étaient pas signées par leurs auteurs. Cependant, les amateurs de ces BD avaient remarqué que certaines histoires étaient particulièrement bien composées, pleines de rebondissements et d’imagination. L’auteur inconnu de ces bonnes histoires était surnommé le « good duck artist ».

Elle ajoute qu’elle-même enfant avait repéré ces épisodes, plus héroïques et surprenants, toujours mâtinés d’humour. Elle se souvient de Picsou voyageant dans le temps, d’un épisode en Mésopotamie et d’un autre où Picsou était involontairement à l’origine de l’invention de la monnaie. Les lecteurs ont fini par découvrir le nom de cet auteur qui sortait du lot. Il s’appelait Carl Barks et son talent est maintenant unanimement reconnu. Précisons qu’il était auteur complet, dessinateur et scénariste. Ça a été pour elle un plaisir d’acquérir l’intégrale de ses œuvres.

Elle cite également Yvan Pommaux dont elle affectionnait beaucoup la série Marion Duval, avec sa ligne claire, ses intrigues policières et sa trépidante héroïne de 9 ans. Elle dit qu’on pourra aussi retrouver la série en son entier dans la salle Ovale et ajoute que le syndrome du tome manquant devrait être évité, puisque seule sera possible la lecture sur place.

Pour aller plus loin :

Découvrez la salle Ovale

 

Julien Olivier dans le cabinet du Roi

Une minuscule foule de déesses et dieux grecs Playmobil peuple le haut des armoires de son bureau. Ce qui est tout à fait normal pour Julien Olivier, heureux propriétaire de cette lilliputienne assemblée. Il est chargé de la collection des monnaies grecques au département des Monnaies, médailles, et antiques (MMA) de la BnF. Il dit :
« Oui, c’est un clin d’œil aux divinités qui ornent les monnaies. » 
Julien Olivier dans le Cabinet du Roi - © Béatrice Lucchese / BnF

Égyptologie ! Égyptologie !

Quand il était enfant, l’archéologie le fascinait déjà, et particulièrement l’égyptologie. Il a grandi avec ce goût pour l’Antiquité. Plus tard, à l’université d’Orléans, où il faisait ses études, il n’y avait pas de filière en égyptologie il s’est alors tourné vers l’histoire de l’Égypte grecque hellénistique, et l’étude de ses monnaies.

Cela a été finalement une belle découverte, et depuis il n’a plus quitté les monnaies grecques.

Le Cabinet du Roi

Arrivé à la BnF en 2014, il se souvient qu’à ce moment-là, les MMA avaient un tout autre visage. Il parle du Cabinet du Roi, arrière-plan choisi pour la séance photo. Jusqu’en 2015, le Cabinet du Roi avec ses trois siècles d’âge et son fastueux décor 18e, était encore un espace de travail pour les agents du département. Quelques-uns y avaient leur bureau et les médaillers contenaient toujours des trésors. Le salon était invisible pour le grand public. En 2017, la seconde phase de la rénovation du bâtiment débute, le décor et les meubles du Cabinet sont démontés, les collections du département des MMA sont très discrètement déplacées, certaines jusque dans les coffres de la Banque de France.

Aujourd’hui, les collections ont été rapatriées dans des magasins tous neufs, où elles sont mieux préservées et protégées. À la réouverture du site Richelieu en septembre, dans un musée repensé, élargi à la galerie Mazarin, le salon entièrement restauré sera désormais accessible à tous. Ce musée de la BnF est nouveau par ses dimensions, mais précise Julien Olivier :

« c’est aussi le plus ancien musée de France et une grande partie des objets exposés est issue du département des MMA. »

Le grand déménagement

Pour en arriver là, il a fallu en passer par un exceptionnel déménagement. On peut même dire le « déménagement du siècle », le précédent avait eu lieu en 1917. Julien Olivier raconte que cet énorme chantier a mobilisé d’octobre 2021 à avril 2022 l’ensemble de la vingtaine d’agents des MMA, des magasiniers à la directrice du département. Les plus de 40 000 objets et les 600 000 monnaies et médailles de cette si précieuse collection ont été déplacés, transférés et réimplantés pièce à pièce par les seuls agents du département !

« Cela a été un des rares moments où nous avons pu voir passer sous nos yeux, l’ensemble des collections du département. Parfois, nous avons eu l’impression de redécouvrir des objets car ils étaient restés loin de nous pendant plusieurs années. »

Julien Olivier souligne également la méticulosité apportée particulièrement au rangement des monnaies, souvent de petite taille, et parfois très semblables. Il y a cette crainte constante de l’erreur de classement : « Un objet mal rangé est un objet perdu. » dit-il.

Une chouette rareté 

Pour notre reportage, Julien Olivier a sorti une monnaie, grecque bien sûr, l’une des célébrités de la collection des MMA. Elle sera exposée dans la salle de Luynes du musée.

Il aime cette monnaie, qu’on appelle un décadrachme, pour sa rareté.

Elle est la toute première de ce type à avoir été découverte. C’est une monnaie d’argent frappée à Athènes et datant du 5e siècle av. J.-C. Elle est plus imposante que les monnaies habituelles, et représente une forte somme : « Cela correspondait à peu près au salaire mensuel d’un soldat. »

C’est aussi une très belle monnaie, ornée, comme les plus petites, d’une tête d’Athéna, et d’une chouette. Il trouve l’aspect brut du décadrachme, avec ses bords très irréguliers, si bien contrebalancé par la finesse de la gravure de la chouette.

« Et sur cette grande monnaie », ajoute-t-il « regardez la beauté de ses ailes déployées ! »

Pour aller plus loin : 

le salon louis xv

 

 

Luis Galante dans le hall d’accueil

La nouvelle entrée Vivienne, juste à côté de la salle Ovale, paraît bien vide à Luis Galante. Lui et sa collègue ont posé un grand bouquet de fleurs artificielles, dans la niche gris anthracite derrière la banque d’accueil : « Pour que ça ait l’air moins froid ». Spécialement pour la séance photo, il a aussi rajouté quelques-uns de ses livres et un pot de crayons :

« Ça fera plus bibliothèque ».

Luis Galante sur le seuil de la salle Ovale - © Béatrice Lucchese / BnF

En attendant

Luis galante est chargé d’accueil sur le site Richelieu. Pour le moment, il ne voit passer que ses collègues : cet été pour permettre le bon déroulement de dernières opérations, le site Richelieu est fermé au public. Encore quelques semaines et « Il » sera là. Luis Galante attend le 17 septembre avec un mélange de curiosité et d’inquiétude.

Il n’en est pourtant pas à son premier public, il est arrivé à la BnF en 1996 à l’ouverture du site François Mitterrand. Il a été embauché pour travailler à l’accueil, mais au début, il a aussi assuré les visites guidées du bâtiment, une petite parenthèse qu’il a grandement appréciée. Il est resté plus d’une dizaine d’années sur le site François Mitterrand, il est maintenant à Richelieu depuis aussi une bonne dizaine d’années, il ne compte pas trop.

L’art, l’histoire

Luis Galante est espagnol. Il a grandi à Madrid où il a fait ses études, un master d’histoire de l’art entre autres. A 25 ans il a choisi de venir vivre en France.

Au début, il a fait des petits boulots, travaillé dans des restaurants, il souligne que c’est très bien pour apprendre le français. Ensuite, il a repris ses études et a obtenu un diplôme de muséologie à l’Ecole du Louvre. C’est à ce moment-là qu’il a eu l’opportunité d’entrer à la BnF et aujourd’hui il y est toujours : « Bon, c’est que ça doit me plaire. »

Même, s’il n’aspirait pas forcement à ce métier d’accueil quand il était plus jeune, travailler tous les jours dans un grand lieu de culture, avec ses multiples strates historiques, n’est de toute façon pas sans rapport avec son goût pour l’art et l’histoire.

De plus, il entretient en parallèle une activité de traduction dans le domaine de l’histoire de l’art, cela contribue à son équilibre professionnel.

Il évoque également quelques moments exceptionnels lors de la réception de certains dons importants. Il a pu, par exemple, y échanger avec la veuve d’Antonio Tabucchi, un écrivain qu’il affectionne. Une autre fois, il se souvient de la présence émouvante de Claude Levi-Strauss. Il ajoute évasivement :

« J’ai aussi fait de belles rencontres sous les marronniers du jardin…. »

Accompagner

Mais si l’on revient à son quotidien, ce qu’il aime particulièrement, c’est d’aller un peu plus loin que simplement accueillir, informer et gérer les inscriptions des lecteurs. Il adore accompagner les chercheurs en faisant des recherches bibliographiques. Un plaisir qu’il continuera de cultiver après la réouverture mais il sait qu’une page se tourne. La petite machine Richelieu va se transformer.

Au début, il a connu un public de chercheurs purs et durs, il y a eu un premier changement, quand les jeunes chercheurs en histoire de l’art de l’INHA sont arrivés dans la salle Ovale, avant sa fermeture pour travaux. Dans quelques semaines, il retrouvera un public de musée, mais cela il connait déjà. Et surtout, la plus grande mutation auquel il se prépare avec ses collègues, c’est l’arrivée des ados et des enfants.

« Là, » dit-il : « C’est un petit saut dans le vide et une nouvelle aventure. » 

Pour aller plus loin : 

La BnF à Richelieu

 

 

Mirabelle Croizier et Antoine Quenardel dans le jardin

En cette chaude journée de juin, le chantier du jardin est encore un espace tourmenté. Malgré le chaos du moment, l’architecte du patrimoine Mirabelle Croizier et le paysagiste, Antoine Quenardel, conservent leur calme et leur sourire.

Pour la photo, Antoine Quenardel, en dépit de son mal de dos, propose que le duo se perche sur un bel empilement de briques rouges, il s’installe ensuite sur un massif d’ancrage en béton puis grimpe sur un escabeau instable. Mirabelle Croizier dit 

« Antoine aimerait toujours être dans les arbres. »

Ils se sont rencontrés sur les bancs du master : « Jardins historiques, patrimoine et paysage » il y a une dizaine d’années. Ils se sont bien entendu et ont décidé de s’associer. Une démarche plutôt atypique entre architecte et paysagiste : « Peut-être qu’on est les seuls en France ?… » s’interroge Antoine Quenardel.

 

Mirabelle Croizier et Antoine Quenardel dans le chantier du jardin au mois de juin - © Béatrice Lucchese / BnF

Architecture, paysage et vieux jardins

Ils ont tous deux le goût des « vieux jardins », d’où leur intérêt immédiat pour le projet du jardin Richelieu. Mirabelle Croizier a collaboré pendant 15 ans avec un architecte en chef des monuments  historiques, Dominique Larpin : « Il était fou de jardins. Il cherchait toujours à travailler sur des sites où il y avait un jardin et donc un enjeu de paysage. »

Au fil des ans, il lui a transmis son attrait et lui a permis d’appréhender cette délicate particularité des jardins historiques : être patrimonial et être vivant. « Toute la complexité est d’arriver à combiner avec les usages d’aujourd’hui, ces différentes dimensions : histoire, patrimoine et vivant.»

Au cœur de son travail de paysagiste, Antoine Quenardel, place le jardin. C’est le lieu où il pense qu’il peut le mieux exprimer son rapport au vivant, et aussi son sens de l’espace et de la mise en scène. « Très jeune je vendais des fleurs pour une horticultrice de la région parisienne. C’est elle qui m’a donné le goût du jardinage, à la même époque, je m’intéressais également au théâtre. Je pense que dans ma pratique du paysage, j’ai un peu combiné les deux. »

Néanmoins ajoute-t-il : « Je ne saurais pas partir d’une page blanche. Je suis toujours très attentif au lieu dans lequel je vais composer mon projet, je dois en comprendre la géographie et le passé. J’aime m’inscrire dans le temps, poursuivre une histoire.»

Au-delà d’œuvrer à la transmission d’un patrimoine, Mirabelle Croizier et Antoine Quenardel pensent qu’il est noble d’entretenir, de réparer ou de transformer les choses pour les faire durer. C’est un principe fondamental pour eux. 

« Tout jeter pour repartir de zéro c’est vraiment un modèle obsolète ! ».

La matière, le vivant

Pour Richelieu, ils ont voulu relier le jardin au monde de la bibliothèque et aux supports d’écriture, par la matière même dont ces différents supports sont faits. Toutes les plantes qu’ils ont choisies pour le jardin, à part quelques arbres qui étaient déjà là, sont utilisées dans la fabrication de papiers. Ce jardin de papier « Hortus papyrifer » est une nouvelle façon pour eux d’exprimer cette idée de la transformation et peut-être aussi notre inextricable lien au vivant.

Antoine Quenardel va chercher une des magnifiques briques qui servira au pavage d’une partie du jardin. Ils sont tous deux, très sensibles aux matières, la fonte de la vasque centrale, la pierre blanche du pavement et l’argile des briques… Ils ont pris grand soin du choix des matériaux. Ils ont d’ailleurs visité pas mal de briqueteries avant de trouver les briques idéales : « Un vrai petit voyage au 19e siècle ! » Antoine Q. souligne leur aspect brut, presque artisanal :

« Parfois, on y voit même la trace des mains qui les ont manipulées.»

Régénération, continuité

Ils expliquent ensuite que pour l’heure seuls les arbres du jardin ont étés plantés. Ils ont dû s’adapter à des modifications de planning qui ont décalé le début du chantier et ont alors proposé le semis d’une prairie « intérimaire » pendant une saison, en lieu et place des arbustes et plantes vivaces prévus à terme. Antoine Q. dit :

« En fin de compte ce sera plutôt vertueux. La terre a été très malmenée par plus de 10 années passée sous les modulaires du chantier. Cela va permettre au sol de se restructurer, à la micro-biodiversité de se régénérer. La terre sera mieux préparée à accueillir les végétaux qui seront plantés au bon moment pour eux, c’est-à-dire en octobre, novembre. »

On leur demande pour finir s’il y a un endroit qu’ils ont particulièrement aimé lorsqu’ils ont visité le quadrilatère,  ils citent immédiatement la galerie Mazarin. « Quand on est entré dans la galerie, on a découvert que les peintures qui ornent les embrasures des fenêtres donnant sur le jardin représentent toutes des paysages naturels. On a trouvé que c’était une belle continuité !»

Pour aller plus loin :

Le jardin Vivienne

Le travail d’Antoine Quenardel et Mirabelle Croizier

 

Arnaud Duplessis et Fabien Aguglia dans les magasins

En ce mois de juillet, le bâtiment Louvois, qui abritait jusqu’alors, la salle de lecture ainsi que les collections du département de la Musique, est désormais entièrement vide… A une exception près. Un bureau au 6e étage compte toujours deux habitants. Ils ne sont pas oubliés, ni perdus. On ne sait pas s’ils sont comme les capitaines de navires qui quittent toujours leur vaisseau en dernier, mais on sait quelle a été leur mission. En effet, si Fabien Aguglia et Arnaud Duplessis n’ont pas encore migré eux-mêmes vers de nouveaux bureaux, ils n’en ont pas moins été les grands ordonnateurs du déménagement des collections. Un petit coup de fil pour prévenir de leur passage dans tel ou tel magasin, et c’est parti. Pour le reportage photo, ils ont suggéré quelques lieux qu’à la faveur de leur mission, ils ont assidument arpentés durant ces dernières années.

 

En magasin des manuscrits français, Fabien Aguglia et Arnaud Duplessis - © Béatrice Lucchese / BnF

Tandem

Au début, ils ne se connaissaient pas. Fabien Aguglia est arrivé en juillet 2017 dans l’équipe projet de Richelieu. Un 1er poste pour ce jeune conservateur chartiste. Il a d’abord été chargé de l’aménagement des espaces publics, puis il s’est vu confier l’implantation des collections en magasins. Un très gros chantier. Il a demandé un renfort, familier du terrain si possible.

Le chef du projet Richelieu, Cheng Pei, lui a proposé de travailler avec un bibliothécaire assistant aguerri qui voguait depuis 1995 sur tous les sites de la BnF, de Richelieu, à Tolbiac en passant par l’Arsenal. C’est donc en octobre 2018 qu’Arnaud Duplessis a intégré l’équipe du projet Richelieu et que le binôme Fabien/Arnaud s’est constitué.

D’un côté, Fabien Aguglia, agile planificateur, toujours apte, au dire de son binôme, à trouver, en moins de deux, une solution à un problème inattendu. De l’autre côté, Arnaud Duplessis : « La force tranquille ! » dit Fabien, il admire la patience d’Arnaud, son sens inné du dialogue. Ces qualités complémentaires ont bien servi le duo dans l’organisation de cet énorme et complexe chambardement.

En mouvement

Imaginez un déménagement qui dure 8 mois, et près de 50 km linéaires de précieuses collections patrimoniales dont il faut parfois prévoir le dépoussiérage, le conditionnement, puis le transport et au final la réimplantation sur le site rénové.

Imaginez des bâtiments soumis aux aléas du chantier, des collections qui voyagent entre tous les sites, avant de pouvoir finalement gagner leur localisation définitive, au bout de 12 années de longs travaux.

Ils expliquent que le déménagement a donné lieu à une réorganisation complète des magasins. Avec l’accord et l’expertise de chaque département, ils en ont profité pour réordonner les fonds, parfois dispersés, et revoir dans certains cas le conditionnement des collections comme, par exemple, dans un des magasins des Cartes et plans. Pour ce fonds très spécifique, des tubes adaptés aux nouveaux rayonnages et aux formats hors norme des grandes cartes ont été spécialement commandés.

Leur premier et constant souci au cours de cet extraordinaire mouvement des collections, est qu’à la fin, chaque document se retrouve bien à la bonne place.

Prendre la mesure

« Et donc, » dit Arnaud Duplessis « il fallait TOUT mesurer, les 50 km de collections au départ, et les 50 km de rayonnages à l’arrivée, à la tablette près ! » Une précision sans faille était indispensable. Ils racontent quelques petites histoires logistiques de centimètres en plus ou en moins, de tablettes non standardisées dans les coursives de la salle Ovale à remettre en place comme un casse-tête géant.

Ils ont dû également prévoir dans les nouveaux magasins la place pour l’accroissement des collections pendant au moins une dizaine d’années. Ils ajoutent qu’il ne reste plus qu’une dizaine de km de collections à réimplanter, tout sera terminé au plus tard au printemps 2023. Doucement chaque chose arrive à bon port. Ils ont aimé cette large collaboration avec tous les départements de la BnF,  ils ont échangé avec des gens très différents, parfois il a fallu composer avec les appréhensions de certains collègues, mais finalement ils ont le sentiment d’aboutir à un travail commun harmonieux.

Ce grand chantier se termine à peine pour eux qu’ils sont déjà un peu ailleurs. Un autre projet va bientôt les occuper, celui du nouveau centre de conservation de la BnF, à Amiens. Ils auront la même mission, préparer le déménagement des collections, 160 km cette fois-ci ! Ils sont heureux de poursuivre leur travail en binôme, et de pouvoir profiter de l’expérience acquise. Amiens, embarquement le 1er octobre, jusqu’en 2028 :

« Cette fois ci, en plus, on ne va pas prendre le projet en marche. On sera là, ensemble, dès le début.»

Pour aller plus loin :

Le déménagement du siècle sur France Culture

Carole Roux-Derozier dans le musée

Elle aime bien qu’on lui parle de couleurs, mais depuis sa toute petite enfance, elle avance dans un monde saturé de sons, de sensations tactiles et d’odeurs. Elle perçoit la lumière, mais ne voit pas ce qui l’entoure. Par une chaude journée d’été, Carole Roux-Derozier a quitté son bureau de la bibliothèque François Mitterrand pour se rendre à Richelieu. Elle vient mesurer l’avancement du parcours tactile dans le musée et discuter des modifications encore nécessaires. Elle a suivi de bout en bout le travail sur l’accessibilité globale du site, en tant que cheffe de projet Développement stratégique des publics en situation de handicap. Elle est elle-même non-voyante.

 

Carole Roux-Derozier devant la borne tactile de la Salle de Luynes. Elle explore la reproduction d’une coupe athénienne en terre cuite du 5 siècle av. J.C. © Béatrice Lucchese / BnF

On la rencontre après son rendez-vous de travail, pour une séance photo, et faire avec elle la visite du musée et de son parcours tactile. Elle dit qu’elle est en apprentissage d’autonomie. Elle ne connait pas encore par cœur tous les chemins dans le bâtiment. Elle ne se sépare pas de son téléphone mobile, elle dit : « Le son dans mes oreilles pour découvrir le site ! ». Elle aime venir ici, elle est sensible à la profondeur historique du lieu : « Le berceau de la BnF ! »

Beau partage

Carole Roux-Derozier revient sur le travail de ces dernières années. Elle souligne l’envergure du projet, confie que cela n’a pas toujours était simple. « Il fallait faire avec les délais de chacun, harmoniser les calendriers pour des intervenants externes et internes très nombreux, et sur des sujets aussi divers que le cheminement de guidage, les plans tactiles, le compagnon de visite et ses deux profils : audio description et langue des signes, et bien sûr le parcours tactile du musée. Beaucoup de choses vraiment ! ».

La collaboration d’autant de collègues venant de départements différents était plutôt inhabituelle, et elle a apprécié leur implication. Cela, dit-elle, dans le seul but de transmettre la richesse des collections et la beauté du site à tous les publics, y compris ceux en situation de handicap. Elle raconte que ce projet lui a donné à elle aussi l’occasion de mieux découvrir Richelieu et la richesse de ses collections. 

Lors de ses visites de travail dans le musée en cours d’installation, et grâce aux descriptions précises des collègues spécialistes, elle a eu la sensation d’entrer en intimité avec certains objets. Elle se souvient d’avoir été touchée par la description d’un bracelet d’accouchée : « Il sera d’ailleurs présenté dans le compagnon de visite sous la forme d’une courte vidéo en langue des signes.

Une visite particulière

On entre dans le hall d’accueil, Carole Roux-Derozier en perçoit la grandeur à cause de la résonance, peut-être accru par la configuration plus ouverte de l’espace. En haut de l’ascenseur, l’entrée du musée. Dans la 1ere salle, dite des colonnes, la sonorité lui donne également une impression de grandeur, elle trouve que l’atmosphère n’est pas très enrobante.

Ensuite il y a le Cabinet précieux, ici à cause du plancher qu’elle entend doucement craquer, elle a la sensation d’une ambiance plus chaleureuse. Dans cette salle, elle se remémore, avec beaucoup d’émotion, une séance de tests autour des prototypes d’objets tactiles avec des personnes déficientes visuelles.  

« Il s’agissait de recueillir leurs remarques et suggestions sur le rendu général des objets. Un formidable moment avec sous les doigts le camée de Schapur premier et le gobelet des jeux isthmiques ! »

Dans la salle de Luynes, juste après le Cabinet précieux, elle a l’impression d’un espace resserré, avec plus de bois. Elle imagine presque être dans la maison du grand collectionneur. Vient ensuite la salle Barthélemy, elle devine immédiatement les boiseries sur les murs. Les sons lui parviennent assourdis, tout est plus feutré. Elle aime bien qu’on lui parle du brun sombre des boiseries et des marbres rouges foncés du socle des médaillers. Elle n’imaginait pas un ensemble si ombreux.

Hier, demain

Pour finir, on retraverse le musée en sens inverse et on se rend dans la galerie Mazarin nouvellement investie par le musée de la BnF. Le vestibule lui donne une impression de lumière, même si elle perçoit son étroitesse. Passée l’imposante porte, la galerie s’ouvre devant elle, elle en ressent le grand volume, elle sait que les collections se succèdent de l’Antiquité à nos jours, et il lui semble que la déambulation dans ce vaste espace est comme la matérialisation d’un cheminement dans l’histoire. « On avance dans la salle et on avance dans le temps. »

Ce long travail pour rendre le site Richelieu accessible est pratiquement accompli, et Carole Roux-Derozier pense au futur. Elle dit :

« Maintenant nous allons nous pencher sur la création d’activités culturelles et de visites sensorielles du site en direction du public déficient intellectuel et porteur de troubles autistiques. C’est une façon de faire vivre ce qui a déjà été pensé et réalisé et toujours partager et transmettre. »

Pour aller plus loin : 

Parcourez les salles du musée de la BnF

Sabine Kessler dans les halls et dans les couloirs

Elle avait dit : « On sera dans le hall en bas de l’escalier. Vous ne pourrez pas nous rater.» En effet, on n’aura pas de mal à la repérer au pied de son échafaudage, tout près des deux sculptures campées de chaque côté de l’escalier. Sabine Kessler annonce que le travail est déjà bien avancé. Elle est conservatrice - restauratrice de sculptures indépendante. Elle est diplômée de l’Institut National du Patrimoine. Cela fait quatre ans qu’elle travaille sur les collections de la BnF, mais cet été, c’est la première fois qu’elle opère sur le site même de Richelieu.

 

Sabine Kessler, conservatrice - restauratrice de sculptures, avec la copie en résine du «Voltaire» de Jean-Antoine Houdon - © Béatrice Lucchese / BnF

 

La méthode

Elle dit qu’il est prévu qu’elle intervienne sur plusieurs autres sculptures dans les méandres du site. Elle énumère, la Vénus de Janniot, le Cicéron de Houdon ainsi qu’une résine de la fameuse statue de Voltaire par le même Houdon. Un chantier suffisamment conséquent pour qu’elle fasse appel à une collègue restauratrice, Marie Dumas, avec qui elle a l’habitude de travailler.

Sabine Kessler explique que les sculptures ont principalement besoin d’être dépoussiérées et nettoyées, parfois il est aussi nécessaire de procéder au rebouchage de petites zones endommagées. Le nettoyage se fait à l’eau, les restauratrices utilisent pinceaux, brosses à dents, bâtonnets avec coton et éponges micro abrasives. Pour le rebouchage, elles se servent de poudres de pierre de différentes couleurs qu’elles mélangent afin d’obtenir la teinte correspondant parfaitement à la pierre de l’ouvrage à restaurer. Elles ajoutent un liant à la poudre de pierre pour faire un mortier, qu’elles appliquent dans les parties à combler.

Le terme juste

Sabine Kessler lève les yeux vers les belles têtes hiératiques posées sur leur piédestal et dit : « Vous avez remarqué qu’elles ne sont pas semblables ? ». Les restauratrices précisent aussi que ces œuvres ne sont pas des cariatides, comme elles ont longtemps été appelées.

« Les cariatides sont des sculptures qui soutiennent toujours un élément d’architecture, ce qui n’est pas le cas ici ! »

Ces gracieuses sentinelles issues du décor Labrouste, de la 2e moitié du 19e siècle se nomment en fait des termes. Ce type d’ouvrage est toujours composé d’une tête ou d’un buste posé sur un socle (ou gaine). A l’origine, ces termes servaient à borner des propriétés. Ceci dit, Sabine Kessler grimpe sur l’échafaudage pour travailler sur la tête du terme à la belle chevelure pendant que Marie Dumas se concentre sur le socle.

A la faveur d’une petite pause négociée dans le tempo bien ajusté de la restauratrice, Sabine Kessler raconte qu’enfant, les visites au musée faisaient son plaisir. Elle n’a cependant jamais été attirée par la création artistique. Elle a su assez tôt qu’elle voulait être restauratrice, un métier qui allie son appétence pour l’histoire et l’archéologie, son goût de la beauté et son penchant naturel pour le travail manuel. Sa découverte de la sculpture et du modelage pendant ses études l’a définitivement orientée vers cette branche de la restauration.

Beauté éclectique et rigueur

Au tout début de sa carrière, elle s’imaginait travailler surtout en extérieur. Elle se voyait restaurer des cathédrales, elle a d’ailleurs participé à la rénovation du portail central de la cathédrale d’Amiens mais en fin de compte elle dit qu’elle travaille largement plus en intérieur et beaucoup pour les musées. « Du reste, c’est moins dur qu’être perchée sur un échafaudage à la merci des intempéries ! »

Ce qu’elle aime vraiment aujourd’hui c’est la variété des matériaux et des objets :

« On peut passer d’une toute petite sculpture en nacre à une pièce monumentale. »

Pour la BnF, elle a, par exemple, restauré des marionnettes en bois du département des Arts du spectacle, des bustes en marbre des Monnaies et Médailles, d’autres en terre cuite appartenant à la Bibliothèque Musée de l’Opéra « Sans oublier les socles des globes de Coronelli ! »

Quand on retourne les voir le lendemain, pour compléter le reportage photo, les deux restauratrices sont à l’œuvre dans les profondeurs du bâtiment. Elles sont penchées sur une copie en résine du Voltaire de Houdon postée près de l’entrée de la bibliothèque de l’Ecole des Chartes.

Lorsqu’on fait une remarque sur la modestie de l’objet à restaurer, elles soulignent que cela n’enlève rien à la grande qualité du travail de Houdon, sa magnifique expressivité. Sabine Kessler ajoute :

« Que le matériau soit noble ou pas, on apporte le même soin et la même rigueur à la restauration. »

Elle conclut, mi sérieuse, mi amusée : « Et ça, c’est bien de l’écrire !»