Simone et André Schwarz-Bart, la mémoire en partage

Depuis 2017, le département des Manuscrits accueille les archives de Simone et André Schwarz-Bart. Cet incomparable couple d’écrivains a bâti son œuvre autour des souffrances portées par chacun – la mémoire perdue des ancêtres esclaves de Simone, la disparition d’une famille dans les camps d’extermination nazis pour André.

Il faut entendre Simone Schwarz-Bart raconter la simplicité et la magie de leur rencontre : ce jeune homme qui l’aborde en créole, à la sortie du métro, et qui en quelques heures, en même temps qu’il lui parle de ce livre qu’il vient d’écrire sur la destruction des siens, lui ouvre sa propre histoire et lui en fait ressentir la brûlure. C’était en 1959, Simone Brumant avait 20 ans, et André Schwarz-Bart venait de déposer chez son éditeur le manuscrit du livre Le Dernier des justes, pour lequel, quelques mois plus tard, il recevrait le Goncourt.

En 1967, à deux, ils signent Un plat de porc aux bananes vertes, premier volume de leur cycle antillais. Puis chacun poursuit son œuvre propre. Simone recherche ses racines en écrivant romans et nouvelles, pièce de théâtre et récits, parmi lesquels Pluie et Vent sur Télumée Miracle (1972) et Ti Jean L’horizon (1996). Et André donne une suite au cycle antillais, en 1972, avec La Mulâtresse Solitude, roman inspiré de cette figure historique de l’émancipation des esclaves.

Dans les marges d’un article de Libération (2 octobre 1995), André Schwarz-Bart écrit la trame d’un dialogue entre Haïm, son double de fiction, et lui-même - © BnF
Dans les marges de la bibliothèque, un Kaddish

Après 1972, André Schwarz-Bart ne publie plus. Pour autant, jusqu’à sa mort en 2006, il ne cesse d’écrire. Il y a cette suite du cycle antillais, qu’il disait avoir détruite, mais que Simone Schwarz-Bart reconstitue pour en publier les volumes, un à un. Il y a aussi ce vaste travail sur la Shoah, à partir duquel Simone a extrait L’Étoile du matin, paru en 2009, et dont les traces, dans le fonds constitué au département des Manuscrits, sont saisissantes. La genèse de ce projet, intitulé Kaddish, se niche dans les marges de milliers d’ouvrages et de coupures de presse issus de la bibliothèque d’André ; ce sont des notes, des symboles, des pages pliées et arrachées, autant de pièces innombrables d’un puzzle, auxquelles la prière traditionnelle juive du Kaddish offre comme une structure d’accueil.

L’œuvre des Schwarz-Bart recèle encore bien des énigmes, et l’on comprend qu’elle soit un terrain stimulant pour les chercheurs ; ils sont aujourd’hui nombreux à s’y intéresser, en particulier à l’Institut des textes et manuscrits modernes. Plus encore, elle trouve dans de nombreux enjeux et débats contemporains une singulière actualité. Dans sa dimension éthique, par sa portée humaniste, à qui le veut bien, elle offre de dessiller le regard.

Keren Mock et Jérôme Villeminoz

Article paru dans Chroniques n° 92, septembre-décembre 2021