Une après-midi avec Jean-Pierre Darroussin

Il arrive par la cour d’honneur du 58, rue de Richelieu, fin sourire sous la casquette de velours noisette. L’acteur et réalisateur Jean-Pierre Darroussin a été convié à une visite du musée de la BnF par Joël Huthwohl, directeur du département des Arts du spectacle. Chroniques les a suivis.
 

Jean-Pierre Darroussin et Joël Huthwohl en salle des Colonnes - 2024 - © Claire Delfino / Le Terrier / BnF

 

Une fois dans le hall Labrouste, pour accéder au musée de la BnF, les visiteurs gravissent l’escalier tournant en acier et aluminium qui constitue l’un des gestes architecturaux les plus forts de la rénovation du site. La salle des Colonnes, qui abrite une sélection de pièces archéologiques, ouvre le parcours : « Dès la Renaissance, les rois de France ont collectionné des monnaies, médailles et objets précieux et les ont réunis dans ce qu’on appelle le Cabinet du roi, transféré sous le règne de Louis XV à la Bibliothèque royale. C’est ainsi qu’est né le premier et le plus ancien musée de France, explique Joël Huthwohl. Nous avons opté pour des vitrines thématiques ; celle-ci, consacrée à Héraklès, présente à la fois des vases antiques, des monnaies frappées à l’effigie du dieu, et aussi cette tête sculptée monumentale. » Jean-Pierre Darroussin, qui examine avec attention les détails de chaque objet exposé, confie : « Il se trouve qu’à un moment de ma vie, il y a longtemps, j’ai étudié les céramiques grecques. » C’est l’occasion pour lui d’évoquer son intérêt pour l’archéologie, dont il souhaitait faire son métier avant de bifurquer finalement vers le théâtre.

D’un trésor à l’autre

Autre salle, autre trésor, celui dit « de Berthouville », du nom de la commune de l’Eure où il a été découvert. « C’est un agriculteur, Prosper Taurin, qui en 1830, en poussant sa charrue, heurte un premier objet, puis découvre une cache dans laquelle était enfoui cet ensemble de pièces de vaisselle romaine et gallo-romaine et deux statues de Mercure, qui datent du Ier au IIIe siècle, poursuit Joël Huthwohl. Presque 25 kg d’argent ! » En traversant la salle, Jean-Pierre Darroussin lève les yeux vers l’un des quatre médaillons qui ornent les coins du plafond. L’un d’eux porte une reproduction en relief de l’allégorie de la Semeuse. « C’était la pièce d’un franc de notre jeunesse », s’amuse-t-il. L’un des bijoux exposés dans le Cabinet précieux retient particulièrement l’attention : un pendentif serti d’une splendide émeraude, offert par Catherine de Médicis à son fils Charles IX en 1571. Dans un contexte de tensions entre mère et fils, la reine avait fait graver sous la pierre précieuse deux mains minuscules qui s’étreignent, en signe de son souhait de réconciliation.

Sous le regard de Voltaire

Après avoir parcouru les salles historiques, nous revenons sur nos pas. Sur le palier, une statue de Voltaire réalisée par Houdon veille sur les allées et venues. « C’est le modèle en plâtre de la sculpture de marbre qui orne le foyer de la Comédie- Française, explique Joël Huthwohl. Houdon avait son atelier ici, et Voltaire a posé dans ces murs. Le socle de la statue renferme le cœur de l’auteur qui a été déposé à la Bibliothèque sur l’ordre de Napoléon III.»
La galerie Mazarin, splendide écrin baroque dans lequel se déploie tout un panorama de l’histoire culturelle française, est l’un des joyaux du site Richelieu. Parmi les œuvres qui fascinent le plus les visiteurs, le manuscrit des Cent Vingt Journées de Sodome du sulfureux marquis de Sade. L’auteur, emprisonné à La Bastille, a écrit la version finale de son texte en caractères microscopiques pour échapper aux fouilles de ses geôliers. Juste avant la prise de La Bastille, Sade est transféré précipitamment à Charenton, le manuscrit alors assemblé en rouleau est resté dans la cellule et n’est réapparu que bien plus tard. Il passe ensuite entre plusieurs mains jusqu’à son acquisition récente par la BnF. « J’ai vu, dans un genre très différent, le manuscrit de Sur la route de Kerouac, exposé au centre Pompidou en 2016. Un seul rouleau de 36 mètres, comme une métaphore de la route », se souvient Jean-Pierre Darroussin.

Dialogue avec une icône

Le parcours se clôt par la Rotonde. Le comédien s’arrête longuement devant le portrait de Sarah Bernhardt par Jules Masson. Le peintre a réalisé ce tableau à la demande de l’actrice d’après une photographie de Nadar, sur un fond doré à la manière des icônes : « Pour l’époque, elle avait déjà un sens certain du marketing », sourit notre visiteur. « Ce tableau est en quelque sorte notre icône à nous aussi, ajoute Joël Huthwohl. Contrairement aux autres œuvres exposées ici, qui changent en fonction des rotations thématiques, il nous accompagne en permanence. » Et le comédien de conclure : « Ces œuvres vous imprègnent, elles infusent longtemps en vous, un peu comme une cure de beauté et de culture. »

Jean-Pierre Darroussin dans la Rotonde - 2024 - © Claire Delfino / Le Terrier / BnF

 

Sylvie Lisiecki

Article paru dans Chroniques n° 100, avril-juillet 2024