Dans l’œil de Cartier-Bresson - Bibliographie
À l’occasion de l’exposition Henri Cartier-Bresson. Le Grand Jeu et du Festival de la BnF / La Bibliothèque parlante (5-6 juin 2021), plusieurs départements de la BnF vous proposent une sélection de livres et de films qui font écho aux sources littéraires, artistiques et cinématographiques de Cartier-Bresson. Le regard du photographe s’est affiné au gré de ses visites de musées, de ses lectures et de ses rencontres depuis son enfance, avec des artistes et des écrivains dont beaucoup sont devenus ses amis.
La plupart de ces références sont disponibles en libre accès dans les salles A, H, G, F et J de la Bibliothèque tous publics ou en ligne.
Une formation de peintre
Dans l’œil d’Henri Cartier-Bresson, la peinture est un sommet, un centre, un absolu. Tous les membres de sa famille vouent un véritable culte aux maîtres du Quattrocento et aux inventeurs de la divine proportion, tels que Paolo Ucello ou Piero della Francesca, le premier plongé dans l’invention de la perspective, l’autre tout occupé à résoudre avec passion des questions de géométrie. Il va hériter à travers les siècles de leur goût des lignes et des mesures, lui qui semble avoir un compas intégré à son Leica, comme en témoigne entre autres sa merveilleuse photo ramenée du Japon : Funérailles d’un acteur de kabuki, dont la dramaturgie presque mystique des lignes autour d’une série d’idéogrammes est saisissante.
Quand il est encore enfant, son oncle, ancien Prix de Rome, l’initie aux joies de l’atelier et de la peinture à l’huile avant de tomber au front en 1915. Puis c’est avec un ami de la famille, le portraitiste Jacques-Émile Blanche, retiré près de Dieppe, qu’il poursuit son apprentissage, tout en fréquentant avec ferveur le Louvre et les galeries parisiennes, où il découvre Bonnard et Seurat dans les années 20. A 19 ans, son choix de vie est fait : il sera peintre et choisit pour sa formation l’académie d’André Lhote, connu aujourd’hui encore par le portrait aux cheveux crépus que fera de lui Kertész quelques années plus tard.
Quand il se tournera finalement vers la photographie, un peu par le hasard des rencontres, il conservera sa passion d’enfant et n’aura de cesse de rester en contact avec des peintres : Léonor Fini, qui vit avec son ami André Pieyre de Mandiargues, et avec qui il partagera la découverte de l’Europe en voiture ; ou bien encore Alberto Giacometti, dont il dressera un portrait en pied sous la pluie parisienne, resté célèbre, et qu’il admire profondément.
Un autre maître : Henri Matisse, que l’éditeur Pierre Braun, souhaitant lancer une série de petites monographies d’artistes, lui donne l’occasion de photographier en 1943. Alors retiré à Vence, malade, le vieux peintre est lui aussi épris de formes géométriques et abstraites, qu’il découpe à coup de ciseaux. Puis vient le tour de Bonnard alors qu’il vit au Cannet. Ces deux magiciens de la couleur détestent être photographiés et s’est à l’issue de véritables jeux du chat et de la souris qu’Henri Cartier-Bresson parvient à réaliser ses clichés. Enfin, toujours dans les années 40, Georges Braque se plie à l’exercice et lui fait cadeau d’un livre auquel il restera attaché toute sa vie et qui marquera sa pratique artistique comme son rapport à l’instant : Le zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc, de l’Allemand Eugen Herrigel.
Invitation à la lecture autour de la peinture et Henri Cartier-Bresson
Christine Ferret, conservatrice des bibliothèques, adjointe au service Art, département Littérature et art de la BnF, vous propose un programme de lectures autour des peintres qui ont influencé Henri Cartier-Bresson :
- Piero della Francesca, Alessandro Angelini, Imprimerie nationale, 2014
- Paolo Uccello, Mauro Minardi, Imprimerie nationale, 2017
- Œuvres complètes, tome 2, Jean Paulhan, Gallimard, 2009
- Photographie, Henri Cartier-Bresson, Delpire, 1989
- Elle, par bonheur, et toujours nue, Guy Goffette, Gallimard, 1998
- L’Atelier d’Alberto Giacometti, Jean Genet, l’Arbalète, 1992
- Lettres sur Cézanne, Rainer Maria Rilke, Seuil, 1991
Les lectures et les amis écrivains
Henri Cartier-Bresson est aussi un grand lecteur. Son bagage culturel est celui assez classique d’un jeune bourgeois de sa génération. Ses lectures d’Henri Cartier-Bresson sont également influencées par le prisme de sa Normandie maternelle (qui lui fait privilégier par exemple Flaubert, Maupassant, Baudelaire, Heredia, Corneille, Malherbe, Proust). Il faut ajouter Rimbaud, Lautréamont, James Joyce, la poésie de William Blake, Joseph Conrad, Faulkner, Dostoïevski.
Cartier-Bresson est d’abord un grand lecteur de Marcel Proust. Il est à noter que le romancier l’inspire d’abord en tant que « photographe de chevet ». Il affirme par exemple : « je ne quittais jamais mon appareil, toujours à mon poignet. Mon regard balayait la vie, perpétuellement. C’était là où je me sentais très proche de Proust lorsqu’à la fin de la Recherche il dit : la vie, la vraie vie enfin retrouvée, c’est la littérature, pour moi c’était la photographie ! » Il lui associe souvent Saint-Simon : « pour être un bon photographe il faut avoir de la culture, au minimum avoir lu Proust et Saint-Simon, ils savaient regarder ceux-là ! » Parmi les classiques, il faut citer aussi le cardinal de Retz, qui lui inspire la fameuse formule du « moment décisif » : « Je suis tombé sur une phrase dans les mémoires du cardinal de Retz où ce dernier écrit : “Il n’y a rien dans le monde qui n’ait son moment décisif.” »
Mais il lit aussi beaucoup ses contemporains, et plusieurs écrivains sont ses amis. Avec André Pieyre de Mandiargues ils se connaissent depuis la petite enfance, ils ont des souvenirs de vacances communs en Seine-Maritime, viennent du même milieu, ont la même sensibilité. Dans les années 30, ils voyagent ensemble, avec Léonor Fini, dans une vieille Buick d’occasion. Cartier-Bresson est aussi très proche de René Crevel qu’il considère comme un grand-frère et un mentor, jusqu’à son suicide en 1935. Crevel l’introduit auprès des surréalistes. Il est ami aussi de Max Jacob et d’Aragon, davantage que de Breton. Aragon est le premier à donner sa chance à Cartier-Bresson en l’engageant en 1937 comme photographe, avec un vrai salaire et une carte de presse, dans son quotidien Ce Soir. Aux États-Unis, il se lie d’amitié notamment avec Truman Capote et Carson McCullers, dont il réalise plusieurs portraits à la fin des années 40. Cette période, qui est aussi celle de la fondation de l’agence Magnum, conduit Cartier-Bresson à mener de très nombreux voyages.
L’amour du cinéma
S’il est connu pour son œuvre photographique, Henri Cartier-Bresson était aussi passionné de cinéma. Il en découvre les possibilités avec le photographe et réalisateur expérimental américain Paul Strand dont le premier film, Manhatta, explore la ville de New-York et la relation entre photo et cinéma. L’influence de Strand est indéniable dans les quelques réalisations de Cartier-Bresson. Pour apprendre le métier, il envoie un album de ses photographies à Jean Renoir, qui l’engage comme 2nd assistant réalisateur sur ses films La vie est à nous, Partie de campagne et La règle du jeu. Il y apparaît aussi, dans des rôles caricaturaux et comiques pour le jeune militant communiste : en noble s’entraînant au tir sur prolétaires ou en curé.
Henri Cartier-Bresson réalisera 5 films : 3 de ses films, Victoire de la vie, L’Espagne vivra et Le Retour, réalisés entre 1937 et 1945, sont profondément liés à son engagement politique et viennent s’inscrire dans la continuité de son travail photographique de l’époque – montrant le combat des républicains espagnols contre Franco et la libération des camps de concentration nazis – ; les deux autres, California Impressions et Southern Exposures, sont réalisés en 1970 et 71 pour la télévision américaine. Deux films en couleur, 2 nouvelles expérimentations pour celui qui disait « la couleur n’est pas mon monde du tout, ça n’a pas la force de l’abstraction du noir et blanc ».
Pour accompagner l’exposition Le Grand Jeu et le festival de la BnF, nous vous proposons cette filmographie (et quelques livres audio) qui mélange son œuvre, celle produite à son sujet et celle qui l’a inspiré ainsi qu’une sélection de films aux thèmes qui lui étaient chers : les voyages, la frontière entre la curiosité et l’indiscrétion, le documentaire, le silence, le regard qui interroge, l’absence d’effets – tout ce qu’on pouvait trouver dans l’œil de Cartier-Bresson.
Cette sélection est à retrouver en salles A et P, et le 15 juin 2021 dans le cadre du Cinéma de Midi.
Invitation à la découverte de films autour du cinéma et Henri Cartier-Bresson
Marc Moreno, du département Son, vidéo, multimédia de la BnF, vous propose un programme de films autour du cinéma et Henri Cartier-Bresson :
- Manhatta, Paul Strand, 1921
- La vie est à nous, Jean Renoir, 1969
- Partie de campagne, Jean Renoir, 1946
- La règle du jeu, Jean Renoir, 1939
- Contacts de William Klein
- La complainte du sentier (in La trilogie d’Apu) de Styajit Ray,
- Vampyr de Dreyer
- Victoire de la vie, Henri Cartier-Bresson, 1937,
- L’Espagne vivra, Henri Cartier-Bresson, 1938
- Le Retour, Henri Cartier-Bresson, 1945
- California Impressions, Henri Cartier-Bresson, 1970
- Southern Exposures, Henri Cartier-Bresson, 1971
Autour de trois voyages emblématiques
Henri Cartier-Bresson, c’est la conjonction d’un regard de géomètre et d’une « âme voyageuse ». Pourtant, nul n’est moins touriste que « l’œil du siècle ». Nul non plus n’est moins expatrié. Cartier-Bresson ne voyage pas, au sens où on passe des vacances. Il ne s’installe pas non plus à de nouvelles adresses, pour vivre là-bas comme on vit à Paris. Chaque destination est une itinérance : il passe plus qu’il ne pérégrine et, sur le territoire de chasse où il se déplace plusieurs mois, parfois plus d’une année, la conscience qu’il faudra en partir maintient alerte. Cartier-Bresson, comme il le dit lui-même, toujours « reste un peu ailleurs ». De ces voyages hantés par la conscience de leur propre fugacité, Henri Cartier-Bresson revient avec des prises parfois exceptionnelles, en particulier quand il y rencontre, bon gré mal gré, les événements, l’histoire elle-même.
On a retenu trois voyages emblématiques, des moments-clés de la carrière du photographe, qui, à des degrés divers et pour des raisons différentes, sont aussi des temps d’ivresse : l’année au Mexique en 1934-1935, le parcours indien après la mort de Gandhi en 1948 et deux mois de reportage à Moscou en 1954.
Chacun de ces pays, lorsque Cartier-Bresson y vit, connaît des heures charnières de son histoire : les premières années du pouvoir du Parti révolutionnaire institutionnel au Mexique, l’assassinat de Gandhi à Delhi, les prémices de la déstalinisation en URSS. Le photographe, loin des institutions, documente ces moments à travers le regard des hommes, leur sommeil ou leurs jeux.
Invitation à la lecture autour des voyages d’Henri Cartier-Bresson
Jérémy Chaponneau, chargé de collection au département Philosophie, histoire et sciences humaines de la BnF, vous propose un programme de lectures autour des voyages d’Henri Cartier-Bresson :
- Le Musée du peuple mexicain, Pedro Ramirez Vazquez, Vilo, 1968
- La Nuit de Tlateloco, Elena Poniatowska, Éditions CMDE, 2014
- Autobiographie ou Mes expériences de vérité, Gandhi, PUF, 1982
- Gandhi : la biographie illustrée, Kapoor Pramod, Chêne, 2017
- Gandhi, athlète de la liberté, Catherine Clément, Découvertes Gallimard, 2008
- Mahatma Gandhi, Romain Rolland, Stock, 1924
- Mahatma Gandhi : a biography, Bal Ram Nanda, Oxford India paperbacks, 1959
- Histoire de l’U.R.S.S., Nicolas Werth, Que sais-je ?, 2020
- Staline, Oleg Khlevniuk, Gallimard, 2018
- U.R.S.S., Jean Marabini, Le Seuil, 1976
Pour aller plus loin
- Henri Cartier-Bresson. Le grand jeu. Expositions et évènements à la BnF
- Programme du Festival de la BnF / La Bibliothèque parlante
- Henri Cartier-Bresson à la BnF
- Fondation Henri Cartier-Bresson
- Pinault Collection
- Dossier du Centre Pompidou sur Henri Cartier-Bresson