Affiches de Mai 68
Les œuvres présentées dans la galerie Mazarin du musée de la BnF, renouvelées tous les quatre mois, explorent cette année la thématique des révolutions. La section dévolue aux affiches fait une large place à celles qui ont fleuri sur les murs des grandes villes de France en mai 1968.
Dans les jours qui suivent l’insurrection des étudiants du Quartier latin, enclenchée le 3 mai 1968 avec l’occupation de la Sorbonne, les élèves de l’École nationale des beaux-arts, aidés d’artistes, commencent à produire des affiches destinées à répandre les mots d’ordre révolutionnaires. Les lieux de production se multiplient, de l’atelier de l’École nationale supérieure des arts décoratifs à l’Atelier populaire de Marseille, en passant par différentes universités en région parisienne, à Montpellier ou à Caen, dans lesquels sont conçus et imprimés des tracts et des affiches-textes.
« Accepté par le comité de grève »
Pour fabriquer ces affiches, les ateliers ont recours, au début du mouvement, au pochoir et à la lithographie, avant d’adopter la sérigraphie sous l’impulsion notamment de l’imprimeur Éric Seydoux et de l’artiste Guy de Rougemont, lequel avait découvert cette technique à New York. Ce procédé d’impression monochrome, rapide et facile à mettre en œuvre, décuple la créativité des étudiants. Chaque jour, visuels et slogans sont débattus lors d’assemblées générales accueillies aux ateliers populaires. Une fois le projet accepté par la majorité des participants, il est réalisé, imprimé, puis confié aux mains des équipes de colleurs d’affiches, des comités d’action de quartiers ou des comités de grève des usines occupées qui se relaient pour les placarder. Des notes manuscrites sur les maquettes des affiches témoignent des discussions que certains slogans occasionnent : l’évolution de « Remplaçons les vieux engrenages » en « Brisons les vieux engrenages » est ainsi validée par la mention « Accepté par le comité de grève ».
Une moisson collective
Dès les premières semaines du mois de mai, le personnel de la Bibliothèque nationale s’attache à collecter tracts et affiches. Dans un entretien réalisé à l’occasion de l’exposition Esprit(s) de Mai 68, organisée à la BnF en 2008, la conservatrice Marie-Renée Morin, en poste à l’époque au service de l’Histoire de France, se souvient : « Toute la Bibliothèque s’employa à la moisson […]. Mais si chacun ramassait sur son passage, dans son quartier, les documents, une centaine de personnes décidèrent spontanément de prospecter un secteur scientifique, professionnel ou politique qui lui était accessible par le truchement de parents, enfants ou amis. Certains se révélaient de merveilleux collaborateurs. » Charles Pérussaux, alors responsable du fonds d’affiches du cabinet des Estampes, avait donné pour consigne de ne prélever, parmi les affiches collées sur les murs de la ville, que celles présentes en plusieurs exemplaires. « Il s’agissait de ne pas priver la rue de ses mots d’ordre ! », note Sandrine Maillet, aujourd’hui chargée du fonds d’affiches conservé au département des Estampes et de la photographie, qui souligne que la collecte s’est plus tard enrichie de dons effectués par les ateliers eux-mêmes et par des lecteurs ayant à cœur de contribuer à cette dynamique.
D’une lutte à l’autre
Parmi le vaste ensemble des quelque 700 affiches de mai 1968 conservées aujourd’hui au département des Estampes et de la photographie, plusieurs centaines ont été numérisées et mises en ligne sur Gallica. « Pour l’accrochage dans le musée de la BnF, la sélection s’est portée sur les affiches les plus iconiques et les plus représentatives des événements, afin de retracer les grands moments de la lutte », raconte Sandrine Maillet. C’est ainsi qu’on peut aujourd’hui admirer « La lutte continue », avec sa cheminée d’usine en forme de poing levé. En tournant le regard vers le plafond, c’est une autre lutte qui se donne à voir, opposant Jupiter aux Géants révoltés, peinte par Romanelli sur le plafond de la galerie Mazarin. Passer, en un mouvement de tête, de la grève générale au mythe antique – c’est aussi à cela qu’invite le musée de la BnF.
Mélanie Leroy-Terquem
Article paru dans Chroniques n° 100, avril-juillet 2024