Avignon, côté jeune public

Doctorante en études théâtrales à l’université d’Avignon, Charly André Guibaud est, depuis 2023, chercheuse associée à la Maison Jean-Vilar. Au sein de cette antenne avignonnaise de la BnF rattachée au département des Arts du spectacle, elle dépouille, en vue de leur catalogage, les archives des spectacles jeune public représentés au Festival Off d’Avignon au début des années 2000. Un travail en étroite complémentarité avec sa thèse sur le thème de l’exil et de l’immigration dans la programmation du festival.

 

Chroniques : Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur les spectacles jeune public présentés au sein du Festival Off d’Avignon ?

Charly André Guibaud : Le Off est, au même titre que le Fringe Edinburgh Festival, l’un des festivals de théâtre les plus ambitieux en matière de programmation pour les jeunes spectateurs : en 2024, il affichait plus de 150 spectacles estampillés « jeune public », soit une proportion de 10 %. Il se place, par exemple, loin devant le Festival d’Avignon lui-même qui a, au cours de son histoire, accordé une place irrégulière – et très variable en fonction des directeurs – à ce type de créations. Or les jeunes spectateurs et les spectacles qui leur sont proposés demeurent un angle mort des études sur le théatre… J’avais moi-même commencé à m’intéresser à la jeunesse par le biais du livre et de l’édition dans le cadre d’une licence pro sur les métiers du livre ; j’ai donc poursuivi dans la même veine en me lançant dans ce travail sur le théâtre jeune public. D’autant que le sujet rencontrait mes intérêts personnels : je fréquentais assidûment les salles de spectacle et j’ai été séduite à l’idée que cette passion puisse trouver un prolongement universitaire.

Charly André Guibaud à Avignon © Photo Marie Hamel

 

En quoi consiste votre travail en tant que chercheuse associée ?

Je dépouille les archives du début des années 2000 à la recherche de toute la documentation qui concerne les spectacles jeune public : tracts, affiches, dossiers de presse constitués pour leur promotion, critiques parues dans les journaux… Tous ont fait l’objet d’une collecte en temps réel. À chaque édition, les compagnies sont en effet invitées à venir faire un dépôt à la bibliothèque Jean-Vilar. J’avais d’ailleurs moi-même participé à cette collecte au tout début de mes études, en 2016-2017, en tant que stagiaire puis saisonnière, et cette expérience avait constitué ma première rencontre avec la BnF ! Au sein des fonds, la documentation est classée par spectacle, mais n’a pas fait l’objet d’un inventaire détaillé. Mon travail consiste précisément à préparer l’entrée dans le catalogue, qui sera réalisée par un bibliothécaire de la BnF. J’ai jusqu’à présent dépouillé trois années : 2005, 2004 – année spécifique où deux associations organisaient le festival – et également 2003. Je remonte le temps pour étudier de façon privilégiée les années qui correspondent à mon travail de thèse.

Que révèle cette première approche sur la place du jeune public ?

La lecture de ces archives fait apparaître la diversité des spectacles destinés aux enfants âgés de quelques mois à 12 ans mais non au-delà, car au Off, comme ailleurs en ce début des années 2000, les adolescents ne sont pas encore un public-cible. Au côté des pièces de divertissement pur, qui sont de loin les plus nombreuses, et des pièces d’éveil destinés aux tout-petits, on trouve également des spectacles centrés sur la transmission (d’un patrimoine culturel ou de valeurs), souvent sous forme de contes. D’autres pièces relèvent du théâtre de formation – tel que l’a conceptualisé Marie Bernanoce – qui cherche à accompagner l’enfant dans sa construction identitaire et sociale. En termes quantitatifs, la proportion de l’offre pour les jeunes avoisine déjà les 10 %. Or une décennie plus tôt, elle n’était que de 5 %. Ce bond dans la programmation au tournant des années 2000 interroge. On peut se demander s’il correspond à une nouvelle revendication de la création jeune public, émanant des compagnies ou de l’association Avignon Public Off qui gère le festival. J’espère mettre le doigt, dans les archives, sur des éléments de réponse…

Ce dépouillement vous a-t-il réservé jusqu’ici de belles surprises ?

À côté des documents papier classiques, j’ai parfois retrouvé des objets promotionnels amusants, comme ce prospectus en forme de masque, ou encore, associés à des spectacles adultes cette fois, des ronds à bière, des dragées ou des sachets de riz qui dataient de plus de 20 ans, en lien avec des pièces évoquant l’amour et le mariage ! Mais la meilleure surprise aura été la découverte de la documentation de spectacles faisant partie de mon corpus de thèse sur l’exil et l’immigration dans le théâtre jeune public du Off. Faute d’informations, ces pièces, pour lesquelles je n’avais qu’un titre et un bref résumé, tous deux issus du programme du festival, n’auraient fait l’objet que d’une petite mention dans mon travail. Grâce à ces archives, et même si je n’ai pas accès à la réalité de la représentation elle-même, ces spectacles prennent véritablement corps.

 

Propos recueillis par Alice Tillier-Chevallier

Article paru dans Chroniques n° 102, janvier-mars 2025