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La bibliothèque au cœur du monde
Entre le XIVe et le XVIe siècle, la Renaissance se traduit par un retour aux textes de l’Antiquité grecque et latine et la restauration des valeurs dont ils étaient porteurs. L’exposition présentée actuellement sur le site Richelieu montre comment des lettrés, dans le sillage du poète et penseur Pétrarque, ont fondé un nouveau rapport à la connaissance et une nouvelle vision de l’être humain. Chroniques l’a visitée en compagnie de Luca Marcozzi, professeur de littérature italienne à l’université de Roma Tre.
« C’est au cours de son premier voyage à Rome en 1337 que Pétrarque, profondément impressionné par les traces de la culture romaine disséminées dans la ville, a perçu, là où tout le monde voyait des ruines, la grandeur de l’Antiquité. Le premier, il comprend que ce monde désormais lointain est porteur de connaissances essentielles qu’il va s’attacher à retrouver et à remettre au jour », explique Luca Marcozzi. Cette découverte fonde le projet poétique et culturel qui traverse toute la vie et l’œuvre de Pétrarque. Il se met alors en quête des oeuvres du passé, parcourt l’Europe en chercheur infatigable, aidé par le réseau de relations qu’il est parvenu à créer avec d’autres intellectuels.
Du cabinet de travail à la bibliothèque princière
Pour rendre compte de l’effervescence intellectuelle, artistique et scientifique qui se développe à cette époque, l’exposition de la BnF propose un parcours à travers plus de 240 œuvres – manuscrits, livres imprimés, estampes, dessins, sculptures, objets d’art, médailles, monnaies… Il conduit du studiolo, à la fois cabinet de lecture, de méditation et de travail du lettré qui prend ses origines dans la vie monastique du Moyen Âge, jusqu’aux grandes bibliothèques princières. Le visiteur est appelé à explorer les aspects majeurs de la culture humaniste de la Renaissance : le rôle fondateur joué par Pétrarque et sa bibliothèque ; la redécouverte des textes antiques et le travail – de copie, de traduction, d’édition – qui s’élabore autour de leur diffusion. Une vision nouvelle de la dignité de l’être humain voit le jour, valorisant sa puissance propre d’action et de création, notamment à travers la célébration des hommes illustres et leur constitution en modèles. Au coeur de cette nouvelle culture, la bibliothèque.
Un cheminement continu vers la sagesse
« La bibliothèque est le cœur du monde de Pétrarque. On estime qu’il a amassé des centaines de volumes », poursuit Luca Marcozzi. Même s’il fait la satire de ceux qui accumulent des livres sans en connaître le contenu, il a possédé sans doute la plus grande bibliothèque d’Europe. Comme le montre l’exposition, celle-ci constitue à la fois le lieu physique et le symbole du travail intellectuel, le centre de correspondance avec d’autres lettrés et le point de diffusion de l’humanisme européen. La construction d’un réseau d’amitiés passe par les relations épistolaires, mais aussi par l’échange de livres, le dialogue sur les auteurs et les oeuvres du passé, la capacité à transformer les lectures en maximes morales, l’exhortation à la connaissance du monde et de soi-même. La bibliothèque est le seul lieu où le temps est productif et acquiert de la valeur, car il permet de dialoguer avec les auteurs du passé ; c’est le seul lieu où une âme tourmentée et divisée parvient à réaliser son unité. La vie prend ainsi la forme d’un cheminement continu vers la sagesse, d’une recherche permanente et avide de connaissance. « Chez le jeune Pétrarque, ajoute Luca Marcozzi, ce désir est dirigé vers le passé, vers l’histoire ancienne romaine en particulier, vers la poésie, tandis que dans ses années de maturité, il se tourne vers la connaissance intérieure, mais toujours guidé par la lecture des classiques et, dans certains cas, des philosophes moraux comme Sénèque ou saint Augustin. »
Des manuscrits d’exception
Tout au long du parcours de l’exposition, des manuscrits magnifiquement calligraphiés et enluminés, certains ayant appartenu à Pétrarque et annotés de sa main, d’autres dictés par l’auteur comme cet exemplaire du De viris illustribus resté inachevé à sa mort en 1374, sont mis en lumière aux côtés de livres imprimés à la mise en page et à l’illustration renouvelées par les modèles empruntés à l’Antiquité. Leur mise en dialogue avec d’autres œuvres d’art de la Renaissance confère à cet ensemble un pouvoir d’émotion servi par une scénographie épurée qui met en valeur leur beauté.
Sylvie Lisiecki
Article paru dans Chroniques n° 100, avril-juillet 2024
Disponibles sur toutes les plateformes de podcasts, Les voyages de Pétrarque racontent en six épisodes d’une dizaine de minutes le parcours de l’une des figures de proue de la Renaissance. Pétrarque est en effet né sous le signe du voyage : voyage dans l’Europe à la recherche de manuscrits anciens, voyage immobile et solitaire dans sa bibliothèque de Fontaine-de-Vaucluse, rêverie poétique et amoureuse sur les bords de la Sorgue, ou randonnée initiatique au sommet du mont Ventoux… Partez pour une odyssée sonore à travers les livres, en compagnie de cet illustre précurseur de l’humanisme.