Le jardin Vivienne
Le jardin de papier
Une bibliothèque, quelle que soit son origine, est un assemblage de mémoires fixées sur des supports dont le papier constitue peut-être l’invention la plus prodigieuse et universelle. Il est le résultat d’un savant procédé au cours duquel les tissus des arbres et des herbes, leurs fibres, sont transformés en une pâte à fabriquer des pages dont l’assemblage peut devenir un livre. Liber, partie vivante de l’écorce, sur laquelle on écrivait autrefois, a donné le mot livre. Si dans les rayonnages de ses magasins, à l’intérieur de ses murs, la Bibliothèque nationale de France renferme un jardin de papier insoupçonné, Hortus papyrifer met en scène un florilège végétal de possibles livres.
Broussonetia papyrifera (Mûrier à papier), Fargesia papyrifera (Bambou cespiteux), Tetrapanax papyrifera (Aralie à papier de Chine), Edgeworthia papyrifera (Buisson à papier), Betula papyrifera (Bouleau à papier), Cyperus papyrus (Papyrus)… une sélection de plantes papyrifères qui – comme leurs noms d’espèce en latin l’indiquent – sont connues pour intervenir dans l’élaboration de supports d’écriture et d’impression côtoient végétaux (Palmier de Chine, Bananier du Japon…), eux-mêmes supports d’écriture et d’impression et petits arbres à écorce de papier (Cerisier du Tibet) afin de constituer une palette végétale très symbolique.
Le jardin a été commandé au titre du 1 % artistique en 2019 à l’agence Tout se transforme (architecte & paysagiste) et Gilles Clément (artiste-jardinier).
Ce jardin s’inscrit dans la continuité architecturale formulée et mise en œuvre par l’agence Bruno Gaudin Architectes. Son ambition est d’ouvrir la Bibliothèque sur l’extérieur, en révélant la relation entre le « dedans » et le « dehors » de l’institution multiséculaire.
Un projet en plusieurs étapes
Afin de respecter les périodes de plantation (entre novembre et avril) et s’adapter aux impératifs d’ouverture au public du site en septembre 2022, le jardin a été conçu pour être livré en deux temps.
Les sols qui étaient engazonnés (donc en terre) dans le jardin Vivienne sont recouverts d’une couche de graviers depuis la fin des années 1970, transformant le jardin en cour minérale. Cette terre, malmenée depuis longtemps, était inerte. La majeure partie de la biodiversité contenue dans la terre (les célèbres vers de terres mais aussi tous les micro-organismes invisibles à l’œil nu, etc.) qui fait qu’un sol est vivant avait disparu en raison des conditions d’occupation du site depuis plusieurs années.
La BnF a donc décidé de suivre la proposition du paysagiste pour assurer le bien-être du jardin à long terme, en déroulant la création du jardin sur deux temps. La première étape, de décembre 2021 à septembre 2022, a consisté à créer les allées et l’éclairage, planter les arbres et refaire l’étanchéité du bassin. Cette étape a aussi inclus un travail inspiré par l’agroécologie : une prairie provisoire incluant des engrais verts à été semée, pour contribuer à fertiliser le sol et permettre à la vie de s’y rétablir.
La seconde étape a eu lieu à l’automne 2022, pour respecter la saisonnalité des plantations. Ont alors été introduits les plantes et arbustes définitifs, y compris les essences aquatiques placées dans le bassin remis en eau. Il faudra dès lors trois à quatre ans pour que le jardin prenne sa forme définitive.
Une cohérence historique retrouvée
La BnF I Richelieu est chargée d’histoire, de sens, de contenu. La régénération du site offre enfin la possibilité de raconter l’avenir tout en s’inspirant de cette histoire. Le projet tel qu’il a été conçu rétablit un jardin à l’endroit-même où le Cardinal Mazarin avait fait aménager celui de son palais au XVIIe siècle, recréé par Labrouste dans sa forme actuelle au milieu du XIXe siècle. Le dessin respecte la composition historique aujourd’hui disparue, prenant appui sur les traces souterraines de l’ancien dessin repérables à l’existence de surfaces pleine terre.
La composition régulière de l’espace – découpé et entouré d’allées réparties autour du bassin et de la fontaine centrale qui dessinait quatre parterres de gazon – est évoquée et reprise dans ses grandes orientations. Ce tracé correspond de surcroît au plus près aux usages et aux flux piétonniers attendus dans le cadre du réaménagement du site de la BnF.
Les cheminements du jardin sont traités de façon à dialoguer avec les façades de l’Hôtel Tubeuf et de la Galerie Mansart, en reprenant au sol des parements de briques d’argile aux teintes variées (rouge, brun et noir). Le nouveau jardin permet en outre de retrouver divers éléments de statuaires existants mais restaurés : sept vases Médicis en marbre et deux pots à feu en marbre et pierre. La fontaine, hors d’eau depuis les années 1980, a été transformée en bassin et agrémentée de plantes aquatiques (cyperus papyrus, iris pseudacorus…) pour créer un milieu spécifique et un habitat écologique nouveau.