Le trésor sous l’écaille
Un manuscrit offert à Louis XIV, doté d’une exceptionnelle reliure en écaille de tortue exécutée par André-Charles Boulle, a récemment fait l’objet d’une restauration. L’important chantier coordonné par le département des Manuscrits de la BnF a permis la numérisation de ce trésor.
En juillet 1797, des commissaires de la République prélèvent au palais de Versailles un certain nombre de volumes destinés à rejoindre les collections de l’ancienne Bibliothèque du roi, devenue nationale. Parmi eux figure l’Histoire de Louis le Grand contenue dans les rapports qui se trouvent entre ses actions et les qualités et vertus des fleurs et des plantes, manuscrit offert à Louis XIV en 1688 par Jean Donneau de Vizé. Il est depuis conservé au département des Manuscrits. Né en 1638, historien, critique littéraire, auteur de nouvelles et de comédies, spéculateur dans le domaine de la librairie, historiographe du roi à partir de 1691, Vizé est surtout connu pour avoir fondé et dirigé la première revue trimestrielle puis mensuelle française, le Mercure galant, ancêtre du Mercure de France.
Une reliure unique au monde
Le volume présenté au roi est de grand format, 88 feuillets, d’un peu plus de 50 cm de haut. Son texte, élogieux, d’une extrême flagornerie, a été établi par Vizé lui-même et est illustré de peintures attribuées à Jean Joubert, peintre en miniature du roi. Il a été offert au souverain dans le contexte de sa guérison de la fistule, célébrée à Paris par une fastueuse entrée. Par leur mise en œuvre, les peintures du manuscrit rappellent très nettement les célèbres planches peintes par Joubert pour les vélins du roi (aujourd’hui conservés à la bibliothèque du Muséum national d’histoire naturelle). La renommée du volume tient surtout à son exceptionnelle reliure en écaille de tortue, étain, laiton et argent partiellement doré, attribuée à l’ébéniste André-Charles Boulle. La perte ancienne de quelques éléments (heureusement très limitée) et la grande fragilité de l’ensemble interdisaient jusqu’à présent non seulement le prêt du volume mais aussi sa numérisation, empêchant ainsi sa valorisation auprès des chercheurs et du grand public, auquel il a été montré pour la dernière fois en 1989. Il s’agit pourtant d’une œuvre majeure de l’ébéniste du roi, par ailleurs la seule reliure de ce type conservée au monde.
Un volume désormais restauré et numérisé
Un important chantier de restauration a été mené de 2021 à 2024, dans le cadre plus vaste du programme de traitement et d’étude des reliures précieuses du département des Manuscrits de la BnF, coordonné par Maxence Hermant, conservateur en chef. La reliure Boulle, déposée le temps du traitement, a été confiée à Sébastien Évain, restaurateur extérieur spécialisé, et le corps d’ouvrage lui-même à Éric Bazin, assisté de Frédérique Pelletier, restaurateurs au département de la Conservation de la BnF. Il a été décidé de changer la couture du volume, qui présentait tout à la fois une grande rigidité (la colle s’étant cristallisée) et une grande fragilité. Quant à la reliure elle-même, elle a été constatée en bon état structurel. Les éléments manquants ont été restitués, la surface nettoyée, les éléments métalliques, encrassés et oxydés, traités, les parties soulevées, refixées. Divers prélèvements ont permis des analyses par le laboratoire du département de la Conservation de la BnF. Enfin, le volume désormais restauré et stabilisé, bien que restant fragile, a pu être numérisé par le département Images et prestations numériques. Les images ont été versées dans Gallica et une notice revue et corrigée a été mise en ligne dans le catalogue BnF Archives et manuscrits.
Cet exceptionnel volume, témoin des prestigieuses collections du Roi-Soleil au palais de Versailles, chef-d’œuvre des arts décoratifs du Grand Siècle, est présenté du 8 juin au 6 octobre 2024 dans l’exposition André-Charles Boulle au château de Chantilly.
- Retrouver ce document dans Gallica
- Une reliure exceptionnelle d’André-Charles Boulle pour Louis XIV Conférence des « Trésors de Richelieu » du 27 février 2024 consacrée au manuscrit Français 6995
Maxence Hermant
Article paru dans Chroniques n° 101, septembre-décembre 2024