Pour rappel, tous les sites de la BnF sont fermés les mercredis 25 décembre et 1er janvier.
Les belles équipes de Jeanne Debailly
Enfant de Belleville, Jeanne Testart (1904-1966) a tôt été formée à la pratique du sport par son père, ancien combattant de la Grande Guerre et rugbyman amateur. Dans un récit tardif, elle décrit cette passion du sport qui la distinguait des autres arpètes de l’atelier où elle travaillait jeune fille : « Je n’avais que records à la bouche, lisant les journaux sportifs que papa et son frère achetaient. » Elle y raconte ses débuts de basketteuse au sein du club omnisports du XXe arrondissement, les conditions rudimentaires des entraînements sur les « fortifs » avec un bistro pour vestiaire, les retours couverts de boue et les lessives de sa mère dans un petit appartement sans eau courante. Via la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) dont relève ce club, sa famille sera relogée en maison au Pré-Saint-Gervais.
Au croisement du sport et de l’internationalisme militant
Le parcours de Jeanne Testart au sein de diverses associations de banlieue – de l’Éducation physique populaire gervaisienne au Club pédestre de l’Étoile rouge – atteste de la vivacité du sport féminin dans les clubs ouvriers des années 1920-1930. Rassemblements interclubs, fêtes sportives et championnats ouvriers organisés en banlieue, en France ou à l’étranger, constituent des espaces de sociabilité marqués par l’internationalisme militant et la mixité. S’y nouent des amitiés avec des camarades de Belgique, d’Italie ou de Tchécoslovaquie mais aussi des liens entre sportives et sportifs : Jeanne Testart rencontre ainsi son futur époux, Georges Debailly, membre d’une équipe de football de Pantin.
Ces compétitions populaires, et a fortiori les matchs féminins, n’attirent pas la presse à grand tirage. Le quotidien communiste Ce soir annonce en revanche en 1939 la finale de la FSGT, opposant le Club de Bordeaux au Club du livre parisien où joue alors Jeanne Testart-Debailly. L’article, qui la présente comme la doyenne mais « pas la moins active » de son équipe, encourage les femmes, qui, comme elle, mêlent charge de famille et engagement sportif.
Le prix de l’engagement politique
En 1936, la basketteuse fait partie de la délégation qui se rend aux Olympiades populaires de Barcelone. Mais la guerre civile fait rage : elle photographie de jeunes miliciens poing levé et les fumées des combats dans la ville. Avec ses amis sportifs, elle a désormais rendez-vous avec l’Histoire. L’atmosphère de camaraderie joyeuse qui se dégage des photographies de groupe tirées dans les années 1930 sur papier carte postale, « en souvenir des jours passés fraternellement unis », tranche avec les légendes qu’elle a plus tard portées à leur dos. Identifiant d’anciens co-équipiers, elle en évoque le tragique destin : telle camarade « déportée avec sa maman », tel « copain […] fusillé par les Allemands », tel autre « massacré au métro de Charonne » en 1962. Ses archives révèlent aussi l’histoire de son amie Carmen Crespo, partie s’engager auprès des antifascistes dans la guerre d’Espagne : lettres et portraits de la combattante s’accompagnent d’une coupure de presse mentionnant sa mort, à 20 ans, lors d’un combat en 1937.
Outre leur intérêt pour l’histoire du mouvement sportif ouvrier et des femmes dans les structures associatives populaires de l’entre-deux-guerres, les archives de Jeanne Testart-Debailly témoignent du prix de l’engagement politique et idéologique d’une génération, éduquée dans la solidarité internationaliste des clubs sportifs et prise dans la tourmente des conflits du XXe siècle.
Dominique Versavel
Article paru dans Chroniques n°100, janvier-mars 2024