Un manuscrit du « Balcon »

« Saint Genet, comédien et martyr », « menteur sublime », « poète du crime » : les expressions ne manquent pas pour qualifier Jean Genet et la mythologie rimbaldienne de sa vie et de son œuvre.

Une œuvre dramatique novatrice

Les historiens et les critiques distinguent essentiellement deux périodes de création : celle des années 1942-1948 où Genet rédige notamment Notre-Dame des fleurs, Le Condamné à mort et Journal du voleur, ainsi que les pièces Haute surveillance, Les Bonnes et Splendid’s ; puis celle des années 1955-1963 où il écrit Les Nègres, Le Balcon et Les Paravents. L’œuvre tisse une toile complexe autour de thèmes sans cesse repris – la violence et l’extrême hiérarchisation de l’univers carcéral, l’enfermement, l’homosexualité et la sacralisation du crime, en particulier du crime de sang. Si la première période est dominée par la forme romanesque, la deuxième construit une oeuvre dramatique qui marque, avant Ionesco, Beckett et Adamov, un véritable renouveau théâtral. Mises en scène par Louis Jouvet, Roger Blin, le Living Theatre, Peter Brook, Patrice Chéreau, entrées au répertoire de la Comédie-Française, ces pièces continuent d’être très représentées aujourd’hui.

Des manuscrits dispersés

L’essentiel des manuscrits de Genet, conservé par son éditeur Marc Barbezat, a été dispersé lors d’une vente à Drouot en mars 1999 et acquis par des bibliothèques d’universités américaines. Des photocopies des manuscrits ont été déposées à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (Imec), qui conserve également les fragments manuscrits de sa dernière œuvre, Un captif amoureux, ainsi que des papiers personnels.

À la BnF, le département des Manuscrits conserve la première version du Journal du voleur et les Derniers mélanges, études mayalogiques et notes sur les civilisations américaines. Par ailleurs, le fonds Sartre compte le manuscrit autographe de Saint Genet, comédien et martyr, entré en 1985. Au département des Arts du spectacle se trouvent plusieurs manuscrits autographes des pièces de l’auteur, parmi lesquels celui d’une version des Bonnes ainsi que le manuscrit autographe inédit de la première version des Paravents. Le fonds Louis Jouvet comprend aussi le dossier de création des Bonnes, comportant notamment les maquettes de Christian Bérard, les photographies de Litpinsky et le manuscrit de la première version reçue par Louis Jouvet.

Un texte rédigé sur un cahier d’écolier

Cet ensemble vient d’être complété par l’acquisition en vente publique le 18 juin 2024 d’un manuscrit de 102 feuillets autographes d’une version du Balcon, rédigée à l’encre bleu nuit sur un cahier d’écolier. Le Balcon marque le retour à l’écriture de l’auteur après une période de remise en cause personnelle, ainsi que son passage à l’écriture dramatique. La pièce, qui relate une révolution vue d’une maison close fréquentée par des personnages allégoriques des différentes sphères du pouvoir – l’évêque, le général et le juge –, est l’une des plus travaillées de l’auteur. L’acquisition de ce manuscrit présente donc un intérêt tout particulier pour l’étude de ses procédés d’écriture.

Mathilde Hallot-Charmasson

Article paru dans Chroniques n° 102, janvier-mars 2025