Anthropocène : les enjeux d'une nouvelle ère
L’été 2023, marqué par des températures extrêmes et par l’intensification des incendies de grande envergure tels qu’en Grèce ou au Canada, demeurera sans doute un jalon dans le processus de prise de conscience par les populations occidentales du caractère concret de la crise climatique. Les peuples autochtones quant à eux, interdépendants des écosystèmes qui les accueillent, sont depuis longtemps en première ligne face aux bouleversements écologiques liés à l’anthropocène.
L’anthropocène sous le regard des sciences sociales
Le terme d’« anthropocène » (de anthropos et kainos signifiant respectivement « être humain » et « nouveau » en grec ancien) a été proposé en 2000 par le biologiste Eugene F. Stoermer et le prix Nobel de chimie Paul Josef Crutzen. Il qualifie l’époque géologique contemporaine caractérisée par les effets massifs des activités humaines sur la planète : réchauffement climatique, fonte des glaces, élévation du niveau des mers, pollution des sols, de l’atmosphère, des océans, érosion de la biodiversité… Si ce concept relève initialement des sciences de la terre, il traverse actuellement le champ des sciences sociales. Parmi elles, l’anthropologie sociale et culturelle contribue à éclairer les enjeux écologiques et à offrir des pistes pour tenter de résoudre la crise actuelle. C’est dans cette perspective que la BnF propose un cycle de six conférences qui s’intéressent à la situation de peuples autochtones originaires d’aires géographiques emblématiques – Amérique du Sud, Afrique de l’Est, Europe du Nord, Asie de l’Est et océan Pacifique. Tous sont confrontés à des problématiques induites par le prélèvement de ressources, la production d’énergie ou l’agriculture et l’élevage, sur leurs terres, par des tiers.
Une conférence inaugurale de Philippe Descola
Philippe Descola, anthropologue, professeur émérite au Collège de France, titulaire de la chaire Anthropologie de la nature de 2000 à 2019, prononcera la conférence inaugurale. Après un long travail de terrain en haute Amazonie équatorienne auprès des Achuar, ses recherches lui ont permis d’établir que, dans bien des parties du monde, l’usage d’un territoire est dépendant d’une foule de non-humains – divinités, esprits, ancêtres, animaux – dotés d’une puissance d’agir autonome et avec lesquels les humains doivent composer. Le rapport politique à la terre y diffère de celui qui nous est familier, soit parce que les non-humains forment un collectif avec les humains, soit parce qu’ils sont vus comme des sujets agissant dans leurs propres collectifs. Sa conférence, intitulée « Cosmopolitiques de l’anthropocène », est une invitation à méditer pour un traitement de la Terre moins destructeur et moins anthropocentré.
Des solutions pour restaurer les équilibres naturels ?
Le cycle permettra ensuite aux anthropologues invités d’exposer comment les Maasaï de la vallée centrale du Rift au Kenya, les éleveurs de rennes Sami en Laponie suédoise, les Yagán de l’île de Navarino en Patagonie chilienne, les éleveurs nomades de Mongolie et les Man-Tongoa du Vanuatu voient leurs milieux de vie menacés de disparition et leur existence bouleversée dans ses dimensions matérielles, sociales et culturelles. Ils présenteront aussi certaines des stratégies que ces peuples développent face aux effets délétères de l’anthropocène, en mobilisant leurs savoirs et leurs représentations du monde mais aussi en agissant sur le plan du droit, national et international, et de la politique à une échelle locale ou globale.
Cécile Geoffroy-Oriente
Article paru dans Chroniques n°99, janvier-mars 2024