Arletty au-delà de la gouaille
Des archives concernant la vie professionnelle et privée d’Arletty ont récemment fait l’objet d’un don à la BnF. Conservés au département des Arts du spectacle, ces documents permettent de retracer l’ensemble de la carrière d’une actrice aux multiples talents.
Prononcez le nom d’Arletty et aussitôt sa voix retentit dans notre mémoire collective et son visage, immortalisé par les plus grands noms de la photographie, resurgit devant nos yeux.
De Léonie Bathiat à Arletty
L’inoubliable interprète des rôles de Garance (Les Enfants du paradis), Madame Raymonde (Hôtel du Nord) et Dominique (Les Visiteurs du soir) est née Léonie Bathiat en 1898 à Courbevoie. La vie de la jeune femme est d’emblée marquée par deux drames, la mort sur le front de son amour de jeunesse en 1914 et celle, accidentelle, de son père en 1916. Quittant sa banlieue, elle s’installe à Paris en 1917, obtient des contrats de mannequin – notamment chez Paul Poiret – et devient Arlette, prénom d’une héroïne de Maupassant. Ses premiers pas sur les planches en 1919 au théâtre des Capucines, où elle chante et fait de la figuration, signent la naissance d’une actrice aux multiples talents, désormais nommée « Arletty ».
Le tournant décisif de l’Occupation
Tête d’affiche de la scène parisienne dans les années 1930, Arletty travaille avec Sacha Guitry, Jean Cocteau et Édouard Bourdet. Sa carrière au cinéma prend un tournant décisif entre 1936 et 1939 grâce à plusieurs films réalisés par Sacha Guitry, Marcel Carné, puis Jacques Prévert dont elle fait la connaissance sur le tournage du Jour se lève. L’Occupation signe la période la plus intense de sa carrière cinématographique, avec Madame Sans-Gêne (1941), Les Visiteurs du soir (1942) et Les Enfants du paradis (1945), tandis que sa présence au théâtre se fait plus discrète. Alors au faîte de sa gloire, l’actrice fréquente le Tout-Paris mondain, artistique et proche de Vichy. Sa liaison amoureuse avec Hans Soehring, assesseur au tribunal militaire de la Luftwaffe en zone occupée, ainsi que ses relations mondaines et amicales pendant la Collaboration valent à Arletty d’être inquiétée à la Libération et d’écoper d’un blâme. Les années d’après-guerre marquent un frein dans sa carrière artistique. Au cinéma, les rôles qu’on lui confie sont moins intéressants. Sur les planches, elle connaît encore un beau succès en octobre 1949 avec le rôle de Blanche, dans la pièce Un tramway nommé désir de Tennessee Williams, adaptée par Jean Cocteau. Atteinte d’une maladie des yeux, elle perd progressivement la vue et décède en 1992, après de longues années à vivre retirée dans son appartement, loin de la scène et des plateaux.
Des archives inédites
Les archives données à la BnF, pour la plupart inédites, proviennent de dons manuels faits du vivant d’Arletty à deux de ses amis proches, Alain Bourla et Denis Demonpion, l’auteur d’Arletty – biographie à ce jour la plus complète de l’artiste, publiée chez Flammarion en 1996. Plusieurs dossiers ont trait à sa famille, son enfance et sa vie personnelle, avec notamment la correspondance croisée de plus de 500 lettres entre Arletty et Hans Soehring entre 1942 et 1944. Mais l’essentiel concerne sa carrière au théâtre et au cinéma, ou comme mannequin, entre 1919 et 1966 : contrats, correspondance, photographies, coupures de presse, programmes et affiches. Le don comprend aussi des costumes (dont des robes de ville griffées Chanel ou Alaïa) et des bijoux de scène. Parmi les objets, dessins et tableaux, on soulignera un portrait de Colette par Dunoyer de Segonzac et la présence de deux nécessaires Cartier, l’un offert par Jean-Pierre Dubost (1928), l’autre par Sacha Guitry (1937), accessoires chics pour les cigarettes, la poudre et le rouge à lèvres de l’artiste à la ville.
Corinne Gibello-Bernette
Article paru dans Chroniques n° 103, avril-juillet 2025