Attention, fragiles ! Conservation et exposition des documents
La lumière, ennemie de la matière
La lumière est un rayonnement énergétique qui produit une modification de la matière organique, qu’il s’agisse de papier, de parchemin, de chiffon ou de bois. Toute exposition à la lumière, même minime, induit une modification de la matière, de même que la peau d’un être vivant s’altère au soleil.
Pour tous les papiers, la lumière entraîne une altération en déclenchant les réactions chimiques d’hydrolyse et d’oxydation de la cellulose qui coupent les molécules constituant les fibres du papier, le rendant plus cassant.
La lumière est un danger pour le support, mais aussi pour la matière déposée sur le papier, en particulier les encres et aquarelles contenant des colorants naturels, mais aussi les feutres, stylos à bille, colorants synthétiques et encres d’imprimerie de couleur. En effet, tous les colorants, qu’ils soient naturels ou synthétiques, sont chimiquement particulièrement sensibles à la lumière. Une exposition à la lumière provoque une décoloration, voire un effacement qui est d’autant plus net que la quantité de matière est faible. La perception de la couleur peut alors changer significativement. Ainsi, les dessins, les impressions en couleurs pour les estampes, les cartes et les affiches sont extrêmement fragiles. Les pigments noirs à base de carbone utilisés pour la gravure sont quant à eux plus stables.
La fragilité des différents types de papier peut être plus au moins grande. Les papiers élaborés à partir de chiffons (fibres longues et peu d’impuretés dans la pâte à papier) sont moins fragiles que les papiers industriels obtenus à partir du bois dès le XIXe siècle, avec des pâtes à papier parfois mal purifiées. Par exemple, les papiers à pâte mécanique (pas de traitement de la pâte) contiennent toutes les impuretés du bois, notamment la lignine, composé chimique instable qui prend une coloration brune en vieillissant quand il est altéré chimiquement (lumière, polluants). Ainsi, les collections d’ephemera ou d’imagerie, imprimées sur ce type de papier, sont-elles particulièrement fragiles.
Les risques sont également prégnants pour la photographie, qui présente le caractère d’être au moment de son invention au XIXe siècle un medium expérimental. Les images produites sont souvent instables et le papier utilisé est parfois de mauvaise qualité, deux caractéristiques qui rendent son exposition problématique. L’image des phototypes obtenus par des procédés argentiques sont constitués de minuscules grains d’argent métallique, altérés par la lumière : on constate un affaiblissement de l’image, qui peut prendre un aspect jauni dans le cas des papiers albuminés. Ces grains sont plus gros, donc plus résistants sur les photographies en noir et blanc du XXe siècle. Les procédés pigmentaires, inventés à la fin du XIXe siècle, justement pour tenter de rendre l’image pérenne, sont plus stables à la lumière. Tout comme les procédés d’arts graphiques, les procédés photographiques couleur sont particulièrement fragiles à la lumière en raison de la présence de colorants synthétiques très instables.
L’équilibre entre présentation et conservation
Pour limiter les altérations en situation d’exposition du document, l’intensité de la lumière internationalement admise est de 50 lux, ce qui correspond au rayonnement visible minimal pour que le document puisse être vu dans de bonnes conditions. La nature du rayonnement est également une composante à prendre en compte pour l’exposition : par exemple, on élimine les rayonnements ultra-violets, plus énergétiques donc plus destructeurs et non perceptibles pour l’œil humain.
La durée de l’exposition est également un paramètre très important : plus elle est longue, plus le document s’abîme, les effets de la lumière étant cumulatifs. On est capable de mesurer de manière assez précise en lux.heure la quantité d’exposition à la lumière d’un document, et de déterminer quel sera son degré d’altération en fonction de cette exposition.
Les altérations étant toujours irréversibles, il convient d’observer une discipline stricte en matière d’exposition, permettant de trouver un équilibre entre présentation au public et conservation des documents. Pour les documents graphiques et photographiques, la BnF s’astreint ainsi à rythme de trois mois maximum d’exposition suivis d’une période de 3 ans pendant lesquels le document n’est plus exposé.
La tension engendrée par un montage vertical sur cimaise de documents en feuille de grand format – par exemple les cartes marines sur vélin exposées dans les alcôves de la Galerie Mazarin – figure également parmi les raisons de cette mesure.
Dans le cas des livres imprimés, le nombre de jours d’exposition se justifie par la tension qu’exerce sur les coutures de la reliure l’ouverture prolongée d’un volume : au-delà de cette durée, celui-ci se trouve menacé de ne pas retrouver sa forme initiale. C’est aussi la raison pour laquelle, dans le cas de livres présentés fermés parce qu’exposés pour leur décor extérieur, une dérogation à la règle des 4 mois peut être faite, puisqu’aucune tension ne s’exerce alors sur les coutures de la reliure. Dans ce cas, toutefois, on veille à changer après quatre mois la face exposée, pour éviter toute décoloration provoquée par la lumière.
Contrairement à une idée souvent répandue, le placement en réserve d’un document après exposition ne permet aucune régénération de celui-ci. Il est également à noter que la BnF, dans son musée, applique à ses collections les règles qu’elle édicte de manière générale pour les prêts qu’elle consent à des expositions extérieures.
Enfin, le principe de rotation permet également que les pièces du musée de la BnF demeurent à la disposition des chercheurs. Il permet de concilier la mission de diffusion culturelle de la Bibliothèque, par laquelle elle assure l’accès du plus grand nombre aux collections, et sa mission de participation à l’activité scientifique nationale et internationale.