Bazooka, un regard punk

Dans le cadre de son action de collecte et de conservation du dessin de presse, la BnF a récemment fait entrer dans ses collections le dessin original qui fit la couverture de Bazooka, première publication du collectif d’artistes français éponyme, parue en décembre 1974.
 

Formé aux Beaux-Arts de Paris en 1973-1974, le collectif d’artistes Bazooka regroupe Loulou Picasso (Jean-Louis Dupré), Kiki Picasso (Christian Chapiron), Olivia Clavel, Bananar (Bernard Vidal) et Lulu Larsen (Philippe Renault). Des amis les accompagnent à leurs débuts, comme Dom Willoughby – qui deviendra cinéaste et professeur à Paris 8 – et Spot Phelizon, photographe. Ils seront un temps rejoints par d’autres comme Ti-5 Dur (Philippe Bailly, dessinateur) et Jean Rouzaud (dessinateur et journaliste). Actifs de 1974 à 1980, ils ont marqué de nombreux artistes par leur esthétique et leur mode opératoire. À l’origine peintres et/ou dessinateurs, ils ont en commun le désir de créer un art qui emprunte les outils de la reproduction et de l’impression, un art médiatique et poétique. Leur poétique vient en partie de leur penchant pour les télescopages esthétiques entre les arts classiques, les arts populaires et les arts industriels, mais aussi d’une appétence pour des images provocantes, drôles et violentes ; une recherche de quelque chose qui s’apparente à la « beauté convulsive » du regard surréaliste.

Bazooka, dessin original pour la couverture de « Bazooka Production » n°1 (reproduite ci-dessous), 1974-1975. Encre de Chine et encre noire sur bristol. BnF, Estampes et photographie - Bazooka [Loulou Picasso, Kiki Picasso, Lulu Larsen et Bernard Vidal]

 

Un commando graphique

Couverture de « Bazooka Production » n°1, 1974-1975. BnF, Estampes et photographie - Bazooka [Loulou Picasso, Kiki Picasso, Lulu Larsen et Bernard Vidal]

Bazooka s’est d’abord fait connaître dans les festivals de théâtre et de bande dessinée où le collectif vendait ses journaux autoédités et imprimés à quelques centaines d’exemplaires. En 1977, il intègre le quotidien Libération dont le directeur, Serge July, souhaite dynamiser la maquette. Mais Bazooka a d’autres ambitions que de remplir d’illustrations les espaces contraints qui lui sont proposés. Se définissant comme un « commando graphique », le groupe infiltre le journal, noue des amitiés avec les maquettistes et intervient directement sur le marbre (lieu des dernières vérifications avant l’impression du journal), en ornant des articles d’images ou de commentaires critiques à l’égard de certains propos des rédacteurs. Le mécontentement de ces derniers provoque l’exclusion des trublions. Toutefois, Serge July leur propose la création d’un supplément mensuel sur lequel Bazooka aura totalement la main. Un regard moderne ne dure que six mois, six numéros d’une formule inédite en France : chaque page présente l’image d’un fait d’actualité – transmis par dépêche d’agences de presse – interprété graphiquement (dessin, peinture, Letraset, trames, photocopies) sous l’influence de psychotropes.

Une esthétique à l’origine du graphzine

Cette aventure à Libération s’est accompagnée et a été suivie d’une multitude de collaborations à différents périodiques tels Hara-Kiri, Charlie Mensuel, Surprise, BD Hebdo, Métal Hurlant, L’Écho des Savanes, Avant-garde, Rock & Folk, Gai Pied, Raw Magazine, en plus des journaux autoédités. L’esthétique des oeuvres des membres de Bazooka est habituellement qualifiée de punk, notamment du fait de leurs nombreuses connivences avec ce mouvement musical ; elle n’y est toutefois pas réductible. On pourrait parler plus justement d’une esthétique Bazooka, irrécupérable et inconcevable aujourd’hui dans la presse à plus ou moins grand tirage, mais qui fut le déclencheur d’une scène graphique « underground » toujours très active en France : le graphzine.

Alexandre Devaux

Article paru dans Chroniques n° 96, janvier- mars 2023