Georges Bernanos est né le 20 février 1888 à Paris et est mort le 5 juillet 1948 à Neuilly-sur-Seine. Il est l’auteur d’une œuvre « de première magnitude », comme l’a très vite souligné André Malraux et trouve place parmi les plus grands écrivains français du XX
e siècle. À travers ses romans et essais, c’est en chrétien, ombrageux et passionné, qu’il affronte le XX
e siècle. En esprit libre, il tracera son itinéraire propre.
Monarchiste par sa famille, il est à vingt ans Camelot du roi, dans les rangs de l’Action française. Il s’en affranchit à la fin de la première Guerre mondiale, qu’il fait comme engagé volontaire après avoir été réformé pour cause de santé fragile. Il refusera par trois fois la Légion d’honneur et répondra à François Mauriac qui lui suggérait l’Académie française : « Quand je n’aurai plus qu’une paire de fesses pour penser, j’irai l’asseoir à l’Académie ». L’Académie lui avait pourtant décerné son Grand Prix du roman, en 1936, pour
Journal d’un curé de campagne. Il avait déjà obtenu le prix Femina pour
La Joie en 1929, qu’on trouve commentée par le grand
Gaëtan Picon, et qui conclut la fresque commencée avec
L’Imposture, paru en 1927. À travers ces trois romans parfois difficiles, Bernanos entraîne ses lecteurs dans un combat sans merci, entre le diable et les saints, dont ils ne sortent pas indemnes.
L’homme de combat
Bernanos et ses quatre enfants dans le Var – début des années 30 © collection famille Jean-Loup Bernanos
L’œuvre romanesque de Bernanos tient en quelque vingt ans, alternant avec les essais et écrits de combat, le tout tandis qu’il mène une vie pleine de soubresauts, dans la période de plus en plus troublée qu’il traverse, et d’installations diverses : plus de trente déménagements dus à un manque d’argent chronique chez cet époux et père de six enfants, de Clermont-de-l’Oise à la Côte d’azur (1930-1934) puis aux Baléares (1934-1937). C’est ensuite l’aventure brésilienne, où il va passer quasiment sept ans (1938-1945). Puis la Tunisie, et enfin Paris. Pourtant son paysage imaginaire restera toujours l’Artois, à Fressin exactement, dont il se souvient ainsi : « J’habitais au temps de ma jeunesse une vieille chère maison dans les arbres, un minuscule hameau du pays d’Artois, plein d’un murmure de feuillages et d’eau vive ».
La maison de Fressin © collection famille Jean-Loup Bernanos
En Espagne, il voit s’abîmer littéralement l’Église espagnole dans le coup de force franquiste. À son retour, il en témoigne dans
Les Grands Cimetières sous la lune (1938) : Satan a frappé en ces lieux, le Mal existe bel et bien. Il continue par
Scandale de la vérité et fustige le déshonneur des démocraties à Münich face à Hitler (1939). Par cette expérience historique, il sort du monde du romanesque pour plonger dans une activité intense de journalisme, de pamphlétaire, d’homme de combat, notamment au Brésil où, par
des conférences, des articles, des essais , il devient l’un des fers de lance de la Résistance.
Bernanos avec des amis et paysans brésiliens - 1939 © collection famille Jean-Loup Bernanos
L’écrivain de l’incarnation
On goûte chez Bernanos le même art intense du récit, qu’il soit purement romanesque ou journalistique : grand lecteur de Balzac, il a développé, lui aussi, un don aigu de l’observation, mais son réel génie, germant du tréfonds de sa foi ancrée dans son enfance, est de voir bien au-delà d’une société à décrire. Réalisme, mais réalisme du surnaturel : se détachant de Balzac par cet aspect, laissant totalement de côté Zola, il verse bien davantage du côté du mystère d’un Dostoïevski. Foin de la plate psychologie ! Bernanos est l’écrivain de l’incarnation, puissante, dérangeante, envoûtante même, et si loin de la littérature française de son temps. Ce génie qui lui est si particulier éclate dans
Sous le soleil de Satan.
Bernanos, au travail, dans un café © collection famille Jean-Loup Bernanos
Tiédeur des cœurs, frilosité des possédants, conformisme paresseux, pusillanimité de l’âme, favorisent l’émergence du Mal et sont à combattre absolument, que ce soit dans les récits et les pièces qui mettent les âmes à nu, ou dans les articles et les pamphlets qui fustigent le manque de courage et la perte du sens de l’honneur.
Monsieur Ouine , publié en 1943 - l’année de parution est tout sauf neutre - constitue le summum de cette tentative d’appréhension du mal : le personnage éponyme de ce très sombre roman agit comme le démon du petit village de Fenouille, « [sondant] les cœurs et les reins, […] apanage de Dieu, qui seul connaît les pensées secrètes, les sentiments profonds de l’homme. (Psaume 7-10, Jérémie 11-20) ».
Un écrivain toujours actuel
La modernité de Bernanos et son actualité demeurent, et pour toutes les époques, comme celles d’un penseur qui nous empêcherait de nous assoupir. Ainsi, dans
La France des robots , il pointe la « civilisation de la consommation » - l’expression est de lui en tout premier – qui nous submerge et nous dessèche toujours davantage. Il y stigmatise une certaine forme de « progrès qui n’est plus dans l’homme, [qui] est dans la technique, dans le perfectionnement des méthodes capables de permettre une utilisation chaque jour plus efficace du matériel humain. ». Matérialisme forcené ruinant toute possibilité de spiritualité. Si ce n’est pas avoir une pensée prémonitoire…
Bernanos, passionné de moto © collection famille Jean-Loup Bernanos
L’œuvre de Bernanos s’achève de manière absolument flamboyante par
Dialogues des Carmélites, pièce de théâtre écrite en 1948 pour un scénario cinématographique, à l’argument lui-même tiré d’une nouvelle de Gertrud von Le Fort,
La dernière à l’échafaud parue en 1931 et inspirée de la Relation de Mère Marie de l’Incarnation de Dieu, qui fut la seule survivante de cet épisode de la Terreur. Point d’orgue d’une œuvre incessamment en recherche de la pureté, de la rectitude et de la tendresse véritable, au moment où l’écrivain donne ses dernières forces et, envers et contre tout, avec quelle vigueur !
Monique Calinon, département Littérature et art
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