Cinéastes et peintres : regards d'auteurs
Clouzot / Picasso
Presque un duel dont Picasso semble sortir malicieusement vainqueur : il ne reste que quarante secondes de pellicule dans la bobine ? Ce sera suffisant, non pas pour achever l’œuvre mais au contraire l’effacer sous de nouvelles formes, sans aucun rapport évidemment avec les précédentes.
Mettant en lice d’autres techniques cinématographiques (cinémascope, plan rapproché, stop-motion, etc…) le film expose l’immense travail de recherche qui se cache derrière l’apparente facilité du trait de Picasso, cette succession d’œuvres qui s’empilent par étapes les unes sur les autres jusqu’au résultat définitif, « tableaux sous les tableaux » dont seule la pellicule conservera le témoignage.
Marker / Matta
resnais / Van Gogh
C’est ce que fait Alain Resnais avec son Van Gogh en 1948. Conscient des limites imposées par la production (impossibilité de tourner en couleur notamment), le cinéaste ne se contente pas de filmer chronologiquement une série de toiles en évoquant la vie de l’artiste. Sélectionnés pour leur pertinence par rapport au commentaire biographique les tableaux s’animent à grand renfort de zooms, de travellings et de fondus enchaînés. Peinture et pellicule se confondent et deviennent partie prenante d’un dispositif narratif qui transforme l’œuvre peinte en matériau filmique. Nous sommes le temps d’un film dans la tête de Van Gogh et nous assistons en un raccourci saisissant à l’émergence créatrice d’un style, à l’apparition d’un auteur et à son effondrement mental final. Surprenant pour son époque et terriblement efficace, le court-métrage amuse cependant par le décalage entre ses expérimentations formelles et la diction datée du commentateur (Claude Dauphin).
Cavalier / Bonnard
De son côté Alain Cavalier, habitué à filmer les métiers et le travail des petites mains, prend prétexte du nettoyage et du dépoussiérage d’une toile de Bonnard pour aborder son artiste préféré (Bonnard, 2005). Une fois rendu à ses couleurs primitives (on apprend incidemment l’efficacité de la salive humaine dans le décrassage des toiles), le tableau et les lieux de pose sont patiemment explorés par une caméra vidéo qui filme à hauteur d’homme, Alain Cavalier étant son propre cameraman. Le parti-pris est ici minimal, volontairement dépouillé, la caméra se substituant simplement à l’œil du spectateur/filmeur pour en traduire l’émotion, dans cette logique de regard modeste propre au réalisateur.
eustache / Bosch
Enfin, Jean Eustache nous offre la mise en scène d’une tranche de vie, le monologue du comédien et psychanalyste Jean-Noël Picq exprimant sa fascination et son désarroi devant l’œuvre la plus impressionnante de Jérôme Bosch (Le jardin des délices de Jérôme Bosch, 1980). En apparence l’enjeu cinématographique est limité : reconstituer une soirée entre amis censée avoir eu lieu quelques années plus tôt dans l’espace confiné d’un appartement parisien. L’important travail de montage et de direction d’acteur s’efface au profit de la restitution réaliste d’un moment particulier, dans un cadre feutré en complet contraste avec le caractère fantastique et horrifique des scènes infernales peintes par Bosch. Un triple jeu de fascination se met en place entre le narrateur, absorbé par sa description du tableau, l’attitude de l’auditoire pendue à ses paroles et finalement le spectateur, discrètement averti par les mouvements de caméras et la succession des plans du caractère faussement documentaire du film.
Yannick Fereng
voir aussi
Vous pouvez consulter quelques articles disponibles en texte intégral dans la base Screen Studies Collection, accessible via les ressources électroniques de la BnF :
- Philippe Fauvel, « Le Mystère Picasso : de la tyrannie de la réalité, en peinture, à la litanie de la peinture, en réalité ». Positif, 579, mai 2009.
- François Thomas, « Sur trois films inconnus d’Alain Resnais ». Positif, 244-245 , juillet-août 1981.
- Luc Béraud, « Au travail avec Eustache : une équipe à quatre pattes ». Positif, 658, décembre 2015