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De quoi Colette est-il le nom ?
À l’occasion de la séance du cycle « À voix haute » le 15 mai 2023, qui donne notamment à entendre des extraits de Sido, Chroniques a convié Emmanuelle Lambert, autrice de Sidonie Gabrielle Colette récemment paru aux éditions Gallimard. Son texte est une invitation à lire et relire l’œuvre de Colette et à déceler ce qui s’y cache entre les lignes.
Nom de jeune fille : Colette. Prénoms : Sidonie Gabrielle. Noms d’épouse : Gauthier Villars (mariage 1) ; de Jouvenel (mariage 2) ; Goudeket (mariage 3). Noms de plume ou de scène : Colette Willy ; Colette de Jouvenel. Et comme un retour à l’origine, à cinquante ans, le nom de plume final : Colette.
Ce nom est devenu une émotion collective, étreignant des générations de lecteurs, et surtout de lectrices. Si j’insiste sur les lectrices, c’est que Colette s’avance depuis le passé portée par une armée de femmes.
Les premières l’avaient lue en cachette parce que les « Claudine », c’était un peu osé. Mais quand bien même l’ombre du gros Willy, mari 1, planait au-dessus d’elle, la série annonçait la couleur d’une écriture de connivence féminine. La psyché, la condition sociale, les assignations de genre ou les prisons mentales, le quotidien, les apparences, et surtout, le corps et la sexualité, rien n’échappait à ce regard d’une femme sur les femmes saisies dans leurs impasses et leurs victoires. Colette imposa en même temps une sorte de female gaze sur des hommes dépassés, impuissants, ambigus. Ainsi ses personnages ont-ils réglé leur compte aux fadaises d’une féminité et d’une virilité que ses promenades dans les milieux nocturnes et interlopes lui avaient très tôt appris à regarder d’un œil, disons, rieur.
Voilà la part visible d’une liberté souvent mise en actes dans sa vie. Plus souvent qu’on ne le croit, son œuvre l’a voilée d’une pudeur essentielle, car avec elle, tout est sujet à frissonnement, déraillement, incertitude, tout bouge et tout change. Être libre, c’est renaître, et tant qu’on est en vie, rien n’est jamais fixé.
Rien, sauf le souvenir glorieux du personnage principal de son œuvre, Sidonie, dite « Sido ». Les monuments que Colette a élevés à sa mère, La Maison de Claudine, La Naissance du jour et Sido sont les représentants éclatants d’une écriture du souvenir qui s’affermira jusqu’aux chefs-d’œuvre tardifs d’une vieille femme empêchée. Colette l’écrit à longueur de livres, elle admire Sido, elle lui doit le goût de la lecture, de la sensation, l’exigence, l’émerveillement devant le vivant (animal ou végétal), l’indépendance d’esprit. L’obstination à vivre. Et sans doute, la liberté, dans la vie comme dans l’écriture.
C’est en effet à partir de La Maison de Claudine que l’inventivité formelle de Colette explose : courtes nouvelles, saynètes, portraits, poèmes en prose, utilisation d’archives, autofiction, collage. Des promenades, encore, dans un jardin imaginaire où l’écrivaine vieillissante prend par la main l’enfant qu’elle fut. Elle a un secret. Elle a aimé Sido comme son propre père avait vénéré sa femme. Si elle était le chef-d’œuvre de sa mère, Sidonie Gabrielle Colette fut la fille du Capitaine, l’homme qui se rêvait écrivain.
Mais silence, ce n’est dit qu’à demi. On l’entendra si l’on sait lire. Ou si l’on aime les devinettes, et qu’on est attentif à une chose : que ce nom, « Colette », pour avoir l’allure d’un prénom féminin, est un héritage paternel. Et que Colette est un être de tous les sexes, de tous les âges et de tous les lieux. Un poète, en somme.
Emmanuelle Lambert
Article paru dans Chroniques n° 97, avril -juillet 2023