Du « Journal des dégâts » à « Flemme actuelle »
Depuis l’essor des journaux satiriques au XIXe siècle jusqu’au Gorafi, en passant par Salut les malins, la presse française n’a cessé d’être parodiée et détournée. L’exposition Pastiches de presse, présentée sur le site François-Mitterrand du 4 avril au 29 octobre 2023, retrace l’évolution et les enjeux de cette pratique. Entretien avec ses commissaires, Sophie Robert et Aurélien Brossé.
Chroniques : D’où vient votre intérêt pour les détournements de journaux et de magazines ?
Sophie Robert : Cela fait quelques années qu’Aurélien et moi nous intéressons à cet aspect méconnu de l’histoire de la presse qui interroge notre rapport à l’information, mais aussi à la satire, au pamphlet. En 2018, j’avais présenté dans la salle de Presse et des médias des pastiches produits à partir des années 1980 par le groupe Jalons, réuni autour de Basile de Koch et Karl Zéro. On y montrait notamment les détournements du Monde (Le Monstre), de Voici (Voirie), de Paris-Match (Pourri-Moche).
Aurélien Brossé : Nous avions alors publié sur le blog Gallica des articles sur les pastiches du XIXe siècle disponibles en ligne, pour replacer les productions de Jalons dans une perspective historique. En explorant les collections, nous nous sommes rendu compte que ce type de détournement est régulier depuis l’invention de la presse : La Croax se moque de La Croix, Le Livaro du Figaro, Laberration de Libération, etc. Or comme ces documents sont le plus souvent inclus au sein même de titres de presse, ils sont difficiles à trouver : le 22 octobre 1865, par exemple, Le Tintamarre publie dans ses propres pages Le Sommeil, pastiche du Soleil dont le premier numéro est paru la veille. Les pastiches de presse sont rarement catalogués comme tels et il n’en existe pas encore d’inventaire exhaustif. C’est une des raisons pour lesquelles le phénomène a été peu étudié jusqu’ici. On a eu envie de donner à voir ces faux journaux pour rire et de les replacer dans le contexte historique de leur parution…
S. R. : …tout en tirant parti des grandes cimaises de l’allée Julien-Cain : elles permettent de montrer des reproductions de documents originaux qu’on peut difficilement présenter au public à cause de la fragilité de certains papiers utilisés.
Que disent les pastiches de la presse et de l’époque dans laquelle elle s’inscrit ?
S. R. : Jusqu’au milieu du XXe siècle, les pastiches de presse émanent de la presse elle-même : ce sont les journalistes qui les produisent. Comme si les rédactions, éprouvées par le rythme de travail et par les mauvaises nouvelles, avaient besoin de cette soupape pour soulager la pression !
A. B. : Le pastiche porte un regard critique sur l’actualité et les débats de société tout en se moquant de leur traitement dans la presse. Cette critique est aussi parfois une défense de la presse, de sa liberté et de sa déontologie. L’exposition montre par exemple un pastiche de L’Équipe, L’Épique, publié à l’occasion de la Coupe du monde de football de 1978 en Argentine. Son contenu dénonce le positionnement des médias de l’époque, qui couvrent l’événement sportif sans interroger son organisation par une dictature militaire.
S. R. : Le pastiche peut constituer une arme militante, comme on peut le voir avec certains détournements de la presse féminine. Icônne, publié par la Youtubeuse Natoo dans les années 2010, ou la série québécoise des Nunuches ne remettent pas en cause la légitimité de la presse féminine en tant que telle, mais en dénoncent plutôt certains travers.
En filigrane de l’exposition, c’est aussi une histoire du rire qui se dessine…
A. B. : On ne rit plus des mêmes choses aujourd’hui qu’il y a 150 ans et on a parfois besoin de nombreux éclairages historiques pour comprendre ce qui faisait rire. Le rôle du rire évolue aussi en fonction du contexte : il permet de contourner la censure au XIXe siècle, il se met au service de la propagande d’État pendant la Première Guerre mondiale. En ce sens, les pastiches de presse permettent d’aborder différents pans de l’histoire culturelle.
S. R. : Et ce sont souvent des objets très drôles, même si leur contexte de production ne nous est pas toujours familier : un des objectifs de l’exposition est aussi de faire rire les visiteurs !
Propos recueillis par Mélanie Leroy-Terquem
Entretien paru dans Chroniques n° 97, avril-juillet 2023