Une jeunesse engagée
Dương Tường est né le 4 août 1932 dans la province de
Nam Định. Lors de la guerre d’Indochine, il interrompt à plusieurs reprises sa scolarité pour participer au combat des Viêtminhs en tant qu’agent de liaison. A 17 ans, il s’engage dans les rangs de Hô Chí Minh. Après la décolonisation en 1955, il quitte l’armée et s’installe définitivement à Hanoi. Il devient journaliste pour l’
Agence Vietnamienne d’Information (VNA) de 1955 à 1966, puis traducteur pour le Comité d’Enquêtes des Crimes de Guerre des États-Unis au Viêt Nam de 1967 jusqu’à sa retraite. Dès lors, il se consacre exclusivement à l’écriture, notamment à la poésie et à la traduction littéraire.
Recherches poétiques
Comme certains de ses contemporains tels que
Lê Đạt (1929-2008),
Trần Dần (1926-1997), Đặng Đình Hưng (1924-1990), Dương Tường a cherché à exploiter les potentialités du langage et de divers modes d’expression poétique. Il composait ses vers – en langues vietnamienne, française, anglaise – en jouant avec la musicalité et l’effet visuel du signifiant sans se soucier du signifié. Ce sont d’abord les poèmes de
Hồ Xuân Hương (1772-1822) qui l’ont guidé dans la recherche d’une harmonie à la fois acoustique et graphique. Sa poésie s’inspire des travaux de l’
Oulipo pour son caractère expérimental. Dương Tường avouait également s’inspirer de la prosodie de
Paul Verlaine qui prônait « De la musique avant toute chose ». Pour ce qui est de la poésie visuelle, il s’est laissé influencer par
Guillaume Apollinaire et
Eward Estlin Cummings et leurs propositions avant-gardistes en matière d’innovation typographique ou orthographique, ou de créativité syntaxique.
Ces choix et cette orientation, source d’inspiration des jeunes auteurs d’aujourd’hui, furent strictement censurés durant la période 1955-1986 par la République démocratique du Viêt Nam. La création littéraire et artistique était considérée comme un outil de lutte au service du gouvernement ; à défaut de quoi elle était jugée comme dépravée car nourrie des idées de la petite bourgeoisie occidentalisée (voir l’
Affaire Nhân văn – Giai phẩm). Par conséquent, un grand nombre d’œuvres de Dương Tường ainsi que de celles de ses confrères restent jusqu’à ce jour à l’état manuscrit et inédit.
Un grand traducteur
La liberté de création linguistique et littéraire de Dương Tường se manifeste également dans nombre de ses traductions. Ayant traduit une soixantaine œuvres littéraires, il n’a jamais simplement cherché à transposer le texte d’une langue à une autre. Selon lui, la mission du traducteur consiste à recréer le texte littéraire dans la langue cible. Une bonne traduction devrait à la fois faire transparaître l’esprit de l’auteur et révéler l’identité du traducteur. Parmi ses traductions des littératures du monde (
Lolita,
Othello,
Autant en emporte le vent,
Anna Karénine à partir de la version française, etc), figurent une vingtaine d’œuvres françaises comme d’
Un amour de Swann,
A l’ombre des jeunes filles en fleur de
Marcel Proust,
Mort à crédit de
Céline,
L’étranger d’
Albert Camus,
La putain respectueuse de
Jean-Paul Sartre, entre autres. A 88 ans, il publiait sa dernière traduction du
Kiều, un des chefs d’œuvre de la littérature vietnamienne. Il confiait alors : « Je considère ce livre comme un bâton d’encens offert à
Nguyễn Du, et aussi un produit pour témoigner de ma reconnaissance envers la langue vietnamienne. En plus d’un demi-siècle de traduction, j’ai apporté à la connaissance des lecteurs vietnamiens de nombreux chefs d’œuvres littéraires du monde. Ma vie a été nourrie par le vietnamien, il est maintenant temps pour moi de lui payer ma dette. »
Littérature et art contemporain
En matière d’art contemporain, Dương Tường a toujours activement soutenu les jeunes créateurs et leurs nombreuses réalisations artistiques et installations. Il a souvent composé ses poèmes en collaboration avec d’autres artistes de tous âges, incarnant ainsi le renouveau de la création vietnamienne, un mouvement artistique caractérisé par un esprit d’ouverture au monde et d’innovation.
Son œuvre littéraire riche et son talent unanimement reconnu ont contribué à faire de Dương Tường une figure majeure du Viêt Nam contemporain. En 2009, il a été décoré du grade d’Officier des Arts et des Lettres par l’ambassadeur de France à Hanoi, Hervé Bolot, pour son engagement en faveur de la culture française au Vietnam tout autant que pour sa volonté de faire connaître le Vietnam à l’étranger.