Feuillade, le muet en héritage

En 2023, le département des Arts du spectacle a reçu en don les archives d’une famille de réalisateurs sur trois générations : celles de Louis Feuillade, figure majeure des débuts du cinéma en France, ainsi que celles de son gendre Maurice Champreux et de son petit-fils Jacques Champreux. 

 

Rien ne prédestinait au cinéma Louis Feuillade (1873-1925), aujourd’hui indissociable de l’histoire de la célèbre société de production Gaumont. Fils d’un couple de négociants en vin originaire de Lunel dans l’Hérault, le jeune homme se détourne vite de l’entreprise familiale pour se consacrer pleinement à ses deux passions : la tauromachie et l’écriture. Tour à tour journaliste, polémiste, poète, dramaturge, il écrit beaucoup et sur tous les sujets, mais sa situation financière reste précaire. C’est sur les conseils de son ami André Heuzé qu’il pousse finalement en 1905 les portes de la société Gaumont, alors en plein essor. Il y restera jusqu’à sa mort vingt ans plus tard.

Une cadence de production effrénée

D’abord engagé comme scénariste, notamment auprès d’Alice Guy, alors directrice artistique, il lui succède en 1907 et contribue à faire de la firme à la marguerite l’un des leaders mondiaux de la production cinématographique. Travailleur acharné et seul maître à bord, il y signe plus de 700 films, dans tous les genres : scènes comiques, mélodrames, superproductions aux sujets mythologiques ou religieux s’enchaînent à une cadence effrénée. Mais ce sont ses films à épisodes, les fameux serials, savant mélange de suspense, de trépidantes aventures et d’atmosphère fantastique, qui lui assurent un immense succès populaire. Les séries des Fantômas, Judex ou des Vampires créent des motifs et des personnages immortels, qui trouvent un écho chez les surréalistes mais aussi, quelques années plus tard, chez Fritz Lang, Luis Buñuel, Jacques Rivette ou plus récemment Olivier Assayas.

Couverture du ciné-roman La Tête coupée de Louis Feuillade et Georges Meirs, premier de la série Les Vampires - 1916 - BnF, département des Arts du spectacle

Un fonds protéiforme

Le fonds accueilli à la BnF reflète cette activité protéiforme et prolifique : pièces, poèmes et scénarios noircissent ainsi les pages d’une trentaine de cahiers manuscrits, que viennent compléter la correspondance de Feuillade avec Gaumont et ses collaborateurs, mais aussi divers documents de tournage et matériaux publicitaires (brochures, ciné-romans qui accompagnaient la sortie des films…). Il apporte ainsi un éclairage nouveau sur la collection Rondel du département des Arts du spectacle, déjà riche en documentation sur le cinéma muet.

 

Photogramme de Judex, réalisé par Louis Feuillade - 1916 - BnF, département des Arts du spectacle

 

L’héritage de Feuillade est également bien représenté dans les archives de son gendre, Maurice Champreux (1893-1976). Opérateur, monteur et photographe de plateau sur les films de son beau-père à partir de 1918, il devient réalisateur à la mort de ce dernier et signe plusieurs remakes de ses films (dont le premier remake de Judex en 1934) mais aussi quelques œuvres originales comme le documentaire Au pays des Basques (1930), considéré comme le premier film sonore sur la région. 

Le petit-fils de Feuillade, Jacques Champreux (1930-2020), acteur et réalisateur, lui rendra lui aussi hommage à travers ses propres séries télévisées, comme Les Compagnons de Baal (1968), coécrite avec Pierre Prévert et pavée de références aux Vampires et Fantômas, ou encore la seconde adaptation cinématographique de Judex, réalisée par Georges Franju et sortie en 1963. Jacques Champreux fut aussi à l’initiative des restaurations de nombreux films de Feuillade, qui permirent de redécouvrir son œuvre en France et à travers le monde.

Rime Touil

Article paru dans Chroniques n° 101, septembre-décembre 2024