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Filmer la ruralité
Pascale Deleule-Loiseau, fille du réalisateur Armand Chartier (1914-2002), a fait don l’an dernier à la BnF des films de son père qui manquaient à la collection du département Son, vidéo, multimédia. Parce qu’elle a également autorisé leur diffusion, il est désormais possible de découvrir dans Gallica l’œuvre d’un cinéaste qui a documenté, avec une sensibilité rare, la France rurale des années 1970.
L’activité de production audiovisuelle du ministère de l’Agriculture est encore peu connue, même des cinéphiles. Pourtant, depuis les années 1920, ce ministère a produit et diffusé un très grand nombre de documentaires à des fins de pédagogie par l’image animée. Les films circulaient alors dans les villages et foyers ruraux. Après la Seconde Guerre mondiale, cette activité s’est encore intensifiée pour accompagner la modernisation de la France rurale.
Le ministère de l’Agriculture fait son cinéma
À la tête de la cinémathèque du ministère de l’Agriculture de 1947 à 1983, Armand Chartier dote les productions du ministère de moyens techniques et d’une ambition artistique remarquable. Ingénieur agronome des eaux et forêts, ce cinéphile est à l’origine d’un contexte de création favorable qui attire au Service audiovisuel du ministère de l’Agriculture de jeunes auteurs prometteurs : Georges Rouquier avec Le Sel de la terre en 1951, Robert Enrico, avec Les Trois Amis en 1959 et L’Or de la Durance en 1960 ou encore Éric Rohmer avec Fermière à Montfaucon en 1968.
Des films au plus près du quotidien des ruraux
Entre 1947 et 1976, Armand Chartier lui-même réalise une soixantaine de films. À l’époque, un haut fonctionnaire ne peut signer de son propre nom. Armand Deleule devient alors Armand Chartier, pseudonyme emprunté au philosophe Alain (de son vrai nom Émile-Auguste Chartier), que le cinéaste admirait. Il s’entoure de collaborateurs fidèles et talentueux : au montage, sa propre épouse, Simone Deleule ; à la musique, le regretté François de Roubaix, qui disparaîtra en 1975 dans un tragique accident de plongée après une décennie de créativité ; à l’image, Gérard de Battista, futur directeur de la photographie de Bertrand Blier (Un, deux, trois, soleil, 1993), Josiane Balasko (Gazon maudit, 1995) ou encore Claude Miller (La Petite Lili, 2003). Au fil des ans, la technique de Chartier s’affirme, son regard s’aiguise ; les films naïfs des débuts laissent place à des documentaires délicats et nuancés. Attiré par le cinéma de fiction, il n’hésite pas à mettre en récit le réel : ainsi la longue nuit d’un médecin de campagne des Cévennes, appelé au chevet des malades dans les fermes les plus reculées (Nuit blanche, 1960). Ou encore les pérégrinations d’un tandem de contrôleurs alimentaires que nous suivons tour à tour sur les marchés, dans les grandes surfaces ou dans les restaurants (L’Été des autres, 1975). Que de chemin parcouru, depuis cette époque où les contrôleurs pouvaient trouver des WC dans les cuisines des restaurants !
Une large collection disponible en ligne
Vingt-cinq films d’Armand Chartier faisaient partie des titres acquis pour l’ouverture du site François-Mitterrand en 1995. En mai 2021, la fille du cinéaste, Pascale Deleule-Loiseau, elle-même monteuse et réalisatrice de films documentaires, a donné au département Son, vidéo, multimédia trente-sept titres qui manquaient à sa collection. Ce don s’est accompagné d’une autorisation de diffusion élargie, permettant la mise en ligne de tous ces films. Environ 23 heures de documentaires sont aujourd’hui librement consultables dans Gallica. Pour se frayer un chemin à travers l’oeuvre d’Armand Chartier, on peut choisir de se fier à la poésie de certains titres (La Leçon des chemins de l’été, Le Village du milieu des brumes, Une fenêtre sur les fleurs) ou de se laisser guider par les billets du blog Gallica qui en proposent une exploration à travers différentes thématiques – la formation des jeunes, les réseaux d’accompagnement des paysans, l’élevage, l’exploitation forestière, la place des femmes dans le monde agricole ou encore l’agriculture hors de la France.
Alexia Vanhée
Article paru dans Chroniques n° 95, septembre-décembre 2022