Hammershøi à la BnF

L’exposition Hammershøi, le maître de la peinture danoise visible au musée Jacquemart-André jusqu’au 22 juillet 2019 permet de mettre en avant le travail d’un artiste trop peu connu du grand public. C’est également l’occasion pour les lecteurs qui le souhaitent de venir approfondir ou découvrir, dans nos collections de la salle F, l’œuvre toute en finesse et discrétion de ce peintre dont les réalisations demeurent toujours aussi envoûtantes et mystérieuses.
 
Célébré de son vivant dans son pays, le Danemark, et à l’étranger, Vilhelm Hammershøi (1864-1916) est petit à petit tombé dans l’oubli. Mort en 1916, l’année de naissance du mouvement Dada, sa peinture a rapidement été éclipsée par les avant-gardes du début du XXe siècle. Or, ses tableaux à l’atmosphère profonde, baignés d’une lumière toute particulière où parfois seule une femme de dos est présente, n’ont cessé de fasciner le public français depuis leur redécouverte lors de la rétrospective au musée d’Orsay en 1997.
Peintre à la personnalité modeste, Hammershøi a pourtant à plusieurs reprises provoqué le scandale. Comme le dit si bien Poul Vad dans le catalogue de l’exposition d’Orsay en 1997 « dans son œuvre, discrétion et altérité radicale se mêlent de façon si subtile que sa perception et son évaluation ont toujours oscillé entre deux pôles extrêmes. » Issu d’une famille bourgeoise de Copenhague (il a deux frères et une sœur), Hammershøi, encouragé par sa mère qui décèle très tôt chez lui des talents artistiques, a suivi des cours de dessin dès ses 8 ans. Il reçoit par la suite un enseignement traditionnel en suivant les cours à l’Académie des Beaux-arts de Copenhague. Si ces sources d’inspiration sont à trouver dans l’âge d’or de la peinture de l’École du Nord et Vermeer en particulier, il reste imperméable aux influences modernes de son époque et ce, malgré de nombreux voyages à Paris, Londres ou en Italie. Il fixe d’ailleurs très rapidement son vocabulaire stylistique épuré. 

 

Bien que citadin, Hammershøi séjourne à la campagne pendant un à deux mois durant l’été. Ses paysages toujours très dégagés révèlent ainsi son style particulier. Il néglige les détails non essentiels à ses yeux et opte pour une composition articulée autour des lignes horizontales et de la ligne d’horizon ce qui donne la sensation d’une extension en largeur. La profondeur est donnée par la sensation d’espace ainsi créé. Le premier plan semble presqu’effacé tandis qu’une minutie absolue est accordée aux nuages et certains détails délicatement traités du plan médian - quelques arbres ou moulins.  Ses paysages dégagent de fait une désarmante sensualité. 

 

À partir des années 1880, il suit la tendance générale de la peinture danoise et délaisse peu à peu la peinture de paysage pour les tableaux d’intérieur et leur scène de vie intime d’où émane, chez lui, une douce mélancolie. On y retrouve sa touche si singulière : le dépouillement de la pièce de tout objet superflu et une composition originale où les lignes jouent un rôle décisif. En 1890, il se fiance avec Ida Ilsetd, la sœur d’un de ses amis peintres, puis ils se marient en 1891. Cette rencontre joua un rôle essentiel tant dans sa vie personnelle qu’artistique : c’est sa femme qui figure sur la majorité de ses tableaux. Même de dos, elle est reconnaissable à l’ondulation de ses cheveux sur sa nuque.

 

Vilhelm Hammershøi construisait ses tableaux lentement pour mieux saisir les vibrations lumineuses. L’appartement dans lequel il emménagea autour de 1898 lui offrit  l’occasion de capter les évolutions de l’ensoleillement danois, grâce aux tailles variables des pièces et leur différente orientation : les lumières bleues-grises de l’automne, le soleil blanc du printemps et l’éclat de l’été. Ces vues d’intérieur, leur variations de lumières et toujours ses choix esthétiques de compositions dépouillées - quelques meubles empires et parfois un tableau accroché aux murs - donnèrent les œuvres majeures qui font sa renommée actuelle.

 

Clarisse Taubin, Département Littérature et art