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La vie d’Hélène Bessette (1918-2000), autrice de treize romans et d’une pièce de théâtre, tous parus chez Gallimard en seulement vingt ans, de 1953 à 1973, semble avoir été faite de rendez-vous manqués et d’incompréhensions.
Née en 1918 à Levallois-Perret, elle devient institutrice dans le Nord de la France, puis suit pendant trois ans son mari pasteur en Nouvelle-Calédonie. Elle en revient athée, divorcée et mère de deux fils, et redevient institutrice. À Nouméa, l’ethnologue Maurice Leenhardt a remarqué son premier roman, Marie Désoublie et la recommande à Michel Leiris. À son retour, elle rencontre Raymond Queneau, et signe en 1952 un contrat avec Gallimard. Son premier roman, Lili pleure, dont Jean-Paul Sartre publie un extrait dans Les Temps modernes, obtient le prix Cazes en 1954. Ses romans suivants sont régulièrement inscrits sur les listes du prix Goncourt.
Le Gang du Roman Poétique
En 1956, elle rédige une revue-manifeste, Résumé, et fonde avec son fils Éric le GRP (Gang du Roman Poétique). Le premier numéro ne se vend qu’à 70 exemplaires, et le 2e reste inédit. Mais cet « acte d’intelligence » est l’occasion d’exprimer sa théorie nouvelle et exigeante du roman, son souhait d’écrire une « littérature authentique », une vision du monde désacralisée et réduite à l’observation attentive de la société moderne. De fait, son style ne ressemble à aucun autre. Ses romans « sans intrigue ni personnage », à la forme irréductible, aux phrases lapidaires disposées comme des vers ou des slogans, sont des lieux d’expérimentation, de migration ininterrompue du réel à l’irréel, du rêve à la réalité.
Son œuvre est d’ailleurs reconnue et admirée par les plus grands noms de l’art et de la littérature : Michel Leiris et Raymond Queneau, mais aussi Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Jean Dubuffet, Georges-Emmanuel Clancier, Claude Royet-Journoud, Bernard Noël, Simone de Beauvoir, Dominique Aury, Alain Bosquet ou Claude Mauriac. Dans L’Express du 2 janvier 1964, Marguerite Duras évoque « la rareté extrême du talent dont [son œuvre] témoigne » et ajoute « la littérature vivante, pour moi, pour le moment, c’est Hélène Bessette, personne d’autre en France ». Son œuvre reste pourtant inconnue, et un échec commercial : la plupart de ses livres ne dépassent pas les 500 exemplaires. Son dernier roman, Ida ou le délire, est publié en 1973, et elle voit ensuite ses textes refusés par Gallimard, tout en étant empêchée par son contrat de les publier ailleurs.
En 1956, une amie d’enfance du nom de Lecoq, a intenté un procès à la romancière : Les Petites Lecoq est condamné pour diffamation et outrage aux bonnes mœurs. Cela entraîne une pétition dans son école, un mauvais rapport d’inspection, et sa démission en 1962. De guerre lasse, elle quitte Saint-Germain-des-Prés, mène d’abord une vie d’errance, habitée par un rêve d’Amérique, devient préceptrice en Suisse, gouvernante en Angleterre ; puis elle est serveuse, concierge, femme de ménage. Solitaire, dans un dénuement presque total et un sentiment de persécution devenu obsessionnel, elle meurt le 10 octobre 2000 au Mans.
On ne vit que deux fois
Dix ans plus tôt, Hélène Bessette avait écrit elle-même la biographie qu’elle aurait rêvé qu’on lui consacrât. Retrouvé dans les archives de l’IMEC et publié en 2018, On ne vit que deux fois est une confession parfois maladroite et excessive, mais bouleversante. Elle y trace un bilan de sa vie et de son œuvre d’une lucidité enragée qui s’ouvre sur cette antiphrase : « Mégalomane et de portée minime, j’écris un petit livre sur moi-même, disons proportionnel à la petitesse de mon esprit et de la production littéraire qui m’a été accordée » (p. 15). Bessette s’y montre bien consciente d’avoir échoué à coller aux attentes germanopratines : « pour convaincre il aurait fallu que mon physique soit très différent […] que je sois un homme, jeune, assez bien de sa personne, pas mal nippé, avec situation, peut-être Normale Sup, au moins licencié. » (p. 63). Elle a très certainement pâti aussi de n’être pas assez docile. En lutte contre les hiérarchies sociales, elle s’est délibérément tenue en dehors des mouvements intellectuels et politiques qui ont marqué les années 60/70. Dans son Histoire vivante de la littérature d’aujourd’hui (1959), Pierre de Boisdeffre écrit ainsi : « dans la constellation compliquée du «Nouveau Roman», Hélène Bessette occupe une place à part : celle d’une enfant boudeuse, incapable de se plier aux règles du genre ».
Après sa mort, son œuvre a bénéficié d’une reconnaissance tardive. Elle est de nouveau disponible en librairie. Entre 2006 et 2012, la collection Laureli (dirigée par Laure Limongi) réédite ses livres aux éditions Léo Scheer. Depuis 2017, les éditions Le Nouvel Attila ont pris la relève et entrepris une réédition intégrale de son œuvre. En 2018, pour commémorer le centenaire de sa naissance, un colloque lui a été consacré à Cerisy, « Hélène Bessette : l’attentat poétique ». De nombreuses autrices et auteurs d’aujourd’hui la redécouvrent, comme Julia Deck qui, dans sa belle postface à On ne vit que deux fois, « On n’est jamais si bien servie que par soi-même », décrit bien les raisons de son échec : Bessette n’avait pas la bonne posture et ne savait pas se vendre. Pour innover, elle aurait dû être un jeune homme riche et pas une mère célibataire pauvre entre deux âges : « Tu as trois choix. / Soit c’est le public qui ne comprend rien dès que l’auteur s’écarte un peu du roman traditionnel. Soit c’est le milieu littéraire qui s’horrifie dès qu’apparaît une nouveauté vraiment nouvelle. Soit c’est la maison Gallimard, qui, GRAND UN, lui refuse ses manuscrits, et, GRAND DEUX, s’oppose à ce qu’elle les présente ailleurs. / Mais j’y pense : le plus simple est d’accuser la victime. / Hélène ne fait aucun effort. Elle rechigne, elle renâcle, c’est une manie, une profession. » (p. 141).