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Hommage à René de Obaldia (1918-2022)
Le 27 janvier dernier, à l’âge de 103 ans, s’éteignait l’écrivain et académicien René de Obaldia, né le 22 octobre 1918.
C’est par la poésie qu’il aborde la littérature : un premier recueil, Humaï, est publié en 1938, suivi en 1949 de Midi, d’inspiration surréaliste. Il se tourne ensuite vers le récit, entre comique fantasque (Les Richesses naturelles) et bouffonnerie, par exemple dans Fugue à Waterloo, qui reçut le Grand prix de l’humour noir en 1956. D’autres prix virent couronner son talent de romancier, tel que le prix Combat pour Le Centenaire en 1959. On lui doit également le beau recueil de « poèmes pour enfants et quelques adultes » : Innocentines, paru en 1969.
Mais c’est surtout avec ses œuvres dramaturgiques qu’il connaît le succès auprès d’un large public. Sa première pièce, Génousie, est créée en 1960. Ce genre lui permet d’explorer le langage dans toutes ses dimensions. Empruntant aussi bien à l’Absurde et au surréalisme qu’à l’académisme et aux constructions narratives traditionnelles, il confronte ces inspirations dans une innovation verbale toujours dynamique. Il convoque ainsi l’argot (Edouard et Agrippine), la parodie (Du vent dans les branches de sassafras), les jeux de mots, les aphorismes absurdes et la dislocation de la logique du discours à la façon de Ionesco (Le Damné). On pense aussi à Henri Michaux, dans ses créations verbales et « ethnologiques », avec l’invention d’une langue, le « génousien ». Et on imagine comment ces jeux de langage ont pu inspirer Jean Tardieu dans ses comédies (La comédie du langage). Comme ces auteurs, Obaldia pointe à la fois la puissance du langage et notre faiblesse à le croire immuable et univoque.
Ne s’attachant à aucun courant, il joue avec les normes, celles de l’académisme comme celle de l’avant-garde littéraire, dans le but moins de les remettre en cause, que d’utiliser toutes leurs ressources pour faire surgir une puissance poétique et comique.
« Un théâtre sans préméditation »
C’est peut-être finalement la propre préface de l’auteur à l’édition de son Théâtre complet, chez Grasset en 2001, qui rend le mieux hommage à son écriture dramaturgique. Il l’intitule malicieusement « Comme par enchantement », elle s’ouvre et se ferme par un court dialogue avec ses propres personnages (façon de s’effacer humblement derrière l’œuvre) :
« J’ai semé derrière moi bon nombre de comédies et, je dois l’avouer, avec une certaine désinvolture. Pas de déclaration fracassante sur le “rôle de l’auteur dramatique dans la société”. Foin de théories sur la dramaturgie… Un théâtre sans préméditation, avait titré Jean Duvignaud pour le programme de Genousie ».
C’est aussi un bel hommage que l’auteur rend au théâtre amateur. Car si dans cette édition, la distribution de la création de chaque pièce, indiquée en exergue, rappelle que les plus grands comédiens ont interprété ses pièces (Jean Rochefort, Marcel Maréchal, Michel Simon, Roland Bertin, Claude Piéplu, Rosy Varte, et bien d’autres), c’est à « la charcutière, à l’employé de banque, au mécano, au boulanger, au représentant de commerce, à l’instituteur, à la coiffeuse, à la secrétaire de mairie, à l’étudiant en médecine, à la pharmacienne (ils se sont mariés), au paysan, à l’employé de chemin de fer » que l’auteur tire son chapeau pour avoir porté ses pièces dans toute la France.
En cette année où l’on commémore le 400e anniversaire de la mort de Molière, relisons Les Bons Bourgeois, écrite en hommage au grand auteur, et en alexandrins, pour célébrer le langage. Obaldia emprunte avec gourmandise les ressorts et le style moliéresques afin de ridiculiser les mêmes caractères qui traversent les époques : snobisme, tartufferie, cuistrerie, etc. Face à la critique de son temps, d’après lui politisée et guère portée sur le comique, il défend à toute force le rire, le « bonheur théâtral » et les « pièces réjouissantes » (« à propos des Bons Bourgeois »). Savourons la dernière réplique, par le personnage du domestique (scène XI) :
« De nos jours vont de pair le cuistre et l’impuissant.
Ils tirent tout à eux, hors la chair et le sang,
Et tenant des discours fumeux et didactiques
Voudraient changer le rire en orgues dramatiques.
La perruque n’est rien, si, dessous, la santé.
Et l’homme est encor fait pour la mâle gaieté.
Que cette comédie ait l’heur de vous complaire
Je le clame tout net : c’est la faute à Molière. »
Depuis 1999 René de Obaldia était membre de l’Académie Française, dont il a reçu le Grand prix du théâtre en 1985. Ne s’interdisant aucune fantaisie, il laisse une œuvre qui célèbre la puissance de l’imaginaire.