Il y a 100 ans à la Nationale

En 1924, la Bibliothèque nationale accueille dans la salle de lecture publique et dans la salle Labrouste des lecteurs qui ne peuvent lire que grâce à la lumière du jour. L’arrivée d’un nouvel administrateur général coïncide avec une série de changements dans la vie de la Bibliothèque, parmi lesquels l’installation de l’éclairage électrique. La presse de l’époque se fait largement l’écho de ces améliorations.
 
Article publié dans L’Excelsior - 21 novembre 1924 - BnF, département Droit, économie, politique

 

Quand on feuillette la presse en ligne dans Gallica, on est frappé du très grand nombre de mentions de la Bibliothèque nationale. Les journalistes des Années folles fréquentent l’institution de la rue de Richelieu et la connaissent bien. Ils ne se contentent pas d’informer sur son actualité, et s’ils critiquent parfois son fonctionnement, c’est parce qu’ils sont conscients de son utilité, allant jusqu’à interpeller l’État pour en augmenter les financements. Rien d’étonnant donc à ce que l’année 1924, marquée par la prise de poste d’un nouvel administrateur général, Pierre Roland-Marcel, suscite une vague médiatique constituée d’articles tour à tour scandalisés, moqueurs puis élogieux.

Une nomination controversée

Les relations de Roland-Marcel avec la presse commencent en effet assez mal. Le 11 novembre 1923, l’annonce au Journal officiel de sa nomination déclenche un de ces scandales politiques de courte durée dont l’entre-deux-guerres est coutumière. Ce préfet en disponibilité de 42 ans (soit 35 de moins que son prédécesseur) était alors directeur de cabinet de Léon Bérard, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts à l’origine d’une réforme de l’enseignement très contestée. Les opposants politiques de Bérard y voient, comme L’Ère nouvelle du 29 novembre, le « fait du Prince ». Ils ne sont pas les seuls à s’indigner. Deux archivistes paléographes déposent un recours contre la nomination de Roland-Marcel : « Le Conseil d’État va avoir à juger le favoritisme de M. Léon Bérard » titre Le Populaire de Paris. Quelques articles cependant saluent, à l’instar du Petit Parisien du 18 novembre 1923, l’entrée en scène d’un « chef jeune, moderne, actif, qui comprend son époque et qui sait que les travailleurs intellectuels sont des gens pressés, parce que, hélas ! leur temps n’est pas de l’argent ».

Une réforme très attendue

Le ministère entend mettre en œuvre à la Bibliothèque des évolutions pour enrayer notamment l’encombrement dû à l’accroissement exponentiel des collections, le retard du catalogue et les failles du dépôt légal. Le Gaulois du 14 novembre 1923 la décrit comme « une très noble et vénérable dame, si riche de trésors accumulés au cours des âges qu’elle ne sait plus où les fourrer, ni comment s’y reconnaître ». Paris-Soir, le 19 avril 1924, regrette que le dépôt légal ne soit pas suffisamment respecté : « En 50 ans, la Bibliothèque nationale a reçu pour ses collections une seule gravure de Steinlen ! » Les lecteurs se plaignent surtout de trop longs délais de communication des ouvrages. Dans cette difficile période de l’après-guerre, où le coût de la vie augmente et fait ressentir d’autant plus la cherté des livres et le besoin de bonnes conditions de travail, c’est peu dire que la presse attend Roland-Marcel au tournant. Aussi, quand il orchestre sa prise de fonction en organisant le 20 février une cérémonie d’installation de la statue de Voltaire dans le salon d’honneur, Le Canard enchaîné attaque fort : « Alors que des ripopées de conservateurs s’étaient succédé rue de Richelieu sans se manifester par le moindre acte éclatant, il y avait à peine cinq minutes que M. Roland-Marcel était dans la maison que déjà il retrouvait le cœur de Voltaire qui était perdu depuis des temps immémoriaux. » Une partie de la presse se gausse, comme Le Matin qui titre le 21 février : « Le cœur de Voltaire était bien où l’on n’ignorait pas qu’il fût. »

Et la lumière fut

Le nouvel administrateur enchaîne toutefois sur des actions concrètes. Quelques semaines après son arrivée, Le Temps du 16 avril consacre un long article aux progrès constatés. Le renseignement bibliographique a été réorganisé et les bibliothécaires qui y sont placés sont choisis parmi « les plus lettrés et souriants ». Le quotidien mentionne le cas d’un lecteur habitué à demander chaque jour le même journal : « Il lui fallait naguère trois quarts d’heure pour l’obtenir ; ces jours passés, il l’a reçu en dix minutes : il enrage d’admiration. » L’Action du 8 septembre note que l’on « peut obtenir sans attente communication des ouvrages en les demandant la veille par une lettre ou par une carte postale adressée à M. le conservateur du département des Imprimés. C’est d’un moderne parfait. »

Reste à régler la question des horaires d’ouverture, variables selon les saisons et même selon la météorologie, un véritable « attrappe-nigauds » que dénonce La Presse du 26 février 1924 : « Pendant tout l’hiver, c’est-à-dire pendant la période où affluent les visiteurs, elle ferme à quatre heures, mais, en réalité, faute de lumière, elle est inutilisable dès trois heures. » Le problème est résolu en novembre 1924 avec l’installation de la « lumière électrique » dans la salle Labrouste et la salle des catalogues. Cette révolution fait les gros titres : « Progrès lumineux à la Bibliothèque nationale », « Une amélioration qui n’est pas un luxe », « La Bibliothèque nationale décidément se modernise et furieusement » !

Un vent nouveau rue de Richelieu

Roland-Marcel reprend la tradition des expositions, interrompue depuis 1908, en inaugurant en mai un Choix de chefs-d’œuvre du XVe au XIXe siècle. « Il faut que le public apprenne à fréquenter les expositions de la Bibliothèque nationale, comme il fréquente le Louvre », s’enthousiasme La Liberté du 19 avril. En novembre, un parcours permanent pour les scolaires est installé dans la galerie Mazarin et résume avec des fac-similés l’histoire du manuscrit, de l’imprimerie, de la reliure et de l’estampe. Le Temps du 20 novembre y voit une « exposition des plus intéressante au point de vue éducatif ». Les défis à relever sont encore nombreux, en matière de ressources humaines, de publication du catalogue et de stockage des collections. Mais pour l’heure, la presse se félicite du vent de nouveauté qui souffle sur la Nationale, comme dans ces lignes du Journal du 19 septembre : « Elle s’anime, dans tous ses services, d’une vie nouvelle et s’apprête à livrer à l’admiration et à l’instruction du public les inestimables trésors insoupçonnés qu’elle possède. » 

Sophie Robert

Article paru dans Chroniques n°100, janvier-mars 2024