Javier Marías (1951 – 2022)
L’un des rois de la littérature en langue espagnole n’est plus : Javier Marías s’est éteint ce dimanche 11 septembre à Madrid, à l’âge de 70 ans.
Un écrivain madrilène et cosmopolite
Javier Marías s’est éteint ce dimanche 11 septembre à Madrid, à l’âge de 70 ans, alors qu’il publiait l’année dernière son seizième – et dernier – roman, intitulé Tomás Nevinson. Cet écrivain, madrilène de naissance mais cosmopolite dans son parcours de vie, était l’une des grandes voix de la littérature espagnole de ces cinquante dernières années, depuis la fin du franquisme. Javier Marías, qui n’était pas seulement romancier, mais aussi journaliste, professeur et traducteur, avait publié son premier livre, Los Dominios del lobo, à l’âge de 19 ans seulement. Après avoir été traduit dans plus de 40 langues et distribué dans près de 60 pays à travers le monde, cette disparition prématurée endeuille les lettres hispaniques.
Issu d’une famille d’intellectuels – son père, Julián Marías, était un philosophe et sociologue, disciple de José Ortega y Gasset, qui avait été interdit d’enseignement à l’Université durant la dictature de Franco, tandis que sa mère était elle aussi enseignante et traductrice –, Javier Marías a longtemps conjugué l’écriture à la traduction et à l’enseignement, notamment dans la prestigieuse université d’Oxford en Angleterre. En effet, s’il était auteur de nombreux romans, il a également publié des nouvelles, des chroniques –dans le cadre d’une collaboration avec le journal El País, qui se poursuivait jusqu’à tout récemment encore, par exemple –, rédigé des scénarios et traduit des œuvres – en témoigne ainsi sa version de Tristram Shandy de Laurence Sterne pour lequel il reçoit un prix en 1979, mais aussi des traductions de Faulkner, de Nabokov ou encore de Robert Louis Stevenson.
Le succès international
C’est à partir de 1987 que l’auteur madrilène connaît le succès public avec la parution de son roman El hombre sentimental (L’homme sentimental) qui décroche le Prix Herralde, décerné chaque année par la maison d’édition espagnole Anagrama. Le succès se poursuit et se confirme les années suivantes avec la parution de Corazón tan blanco (Un cœur si blanc, 1992) et Mañana en la batalla piensa en mi (Demain dans la bataille pense à moi) qui reçoit en 1994 le Prix Femina étranger. Au début des années 2000, Javier Marías entame une œuvre monumentale de près de 1 300 pages, une trilogie intitulée Tu rostro mañana (Ton visage demain), dont l’intrigue n’est pas sans faire écho avec l’histoire personnelle et familiale de l’auteur. Ces dix dernières années, le succès de l’écrivain ne s’était pas démenti avec la publication de Los enamoramientos (Comme les amours, 2011), Así empieza lo malo (Si rude soit le début, 2014), Berta Isla (2017) ou encore, en mars 2021, Tomás Nevinson paru dans sa principale maison d’édition espagnole, Alfaguara.
La reconnaissance académique
Javier Marías refusait les prix officiels émanant de l’État espagnol car il ne souhaitait pas être étiqueté comme auteur récompensé par un quelconque gouvernement et dépendre ainsi de jeux politiques. Modeste, il trouvait également illégitime d’être récompensé par son pays tandis que ses propres « maîtres » avant lui ne l’avaient pas été – parmi lesquels, il citait volontiers Juan Benet ou Eduardo Mendoza. C’est ainsi qu’il avait décliné, en 2012, fidèle à cet engagement personnel, le prix national du roman attribué par le ministère de la Culture espagnol. Néanmoins, bien d’autres prix ont jalonné et distingué sa carrière d’écrivain, notamment à travers le monde. Un prix manquera toutefois à son brillant palmarès : le prix Nobel de Littérature, pour lequel il était régulièrement cité ces dernières années.
En 2008, Javier Marías était cependant reçu comme membre de l’Académie Royale espagnole au siège R, laissé vacant par le philologue Fernando Lázaro Carreter. Il suivait alors le chemin tracé par son père, lui aussi membre de cette prestigieuse académie, ainsi que d’illustres auteurs présents à ses côtés, parmi lesquels Mario Vargas Llosa, Arturo Pérez-Reverte ou encore Antonio Muñoz Molina.
En 2017, à l’occasion de la publication d’une édition commémorative de son roman Corazón tan blanco, l’écrivain confessait, dans une interview accordée au journal El País, être toujours surpris du succès de ses livres ; qu’un livre continue de vivre, des années après sa publication, disait-il, relevait du miracle. Gageons qu’avec l’œuvre laissée aujourd’hui par Javier Marías, le miracle perdure encore longtemps.