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Journaux de bord de photographes
Depuis l’automne 2021, la BnF pilote, pour le compte du ministère de la Culture, la Grande commande photographique visant à dresser une « radioscopie de la France à l’aube des années 2020 ». Parmi les 200 photojournalistes lauréats, une soixantaine tient un journal de bord qui retrace la fabrique de leur reportage. Disponible en ligne, ce récit collectif témoigne de la diversité des sujets et des approches des auteurs photographes.
Dans le cadre de cette commande, la BnF a souhaité constituer une archive inédite pour de futurs chercheurs en demandant aux lauréats photographes de tenir un journal de bord, mis à jour au fur et à mesure des envois et consultable sur une page web dédiée. S’y révèlent, par le biais d’images, croquis, cartes, notes, vidéos et captures sonores, les différentes phases d’élaboration des reportages avant, pendant et après la prise de vue. Les photographes dévoilent ainsi leur pratique au jour le jour, les recherches menées pour s’imprégner du sujet et choisir la forme qui l’incarnera le mieux, mais aussi leurs questionnements à l’heure de construire le rythme de cette narration en images qu’on nomme éditing. Ils racontent parfois leurs difficultés à rencontrer des témoins et à obtenir l’autorisation de les photographier. Ces journaux leur permettent d’appréhender progressivement leur terrain, comme lors d’une investigation : ils font germer des idées, des intuitions, des résonances.
Des journaux de bord réjouissants
et sensibles
Dans ces écrits au présent, au plus proche d’un vécu, la préservation des scories garantit une forme d’authenticité du propos. Les photographes y font part de leurs convictions et de leurs exaspérations, des doutes qui les traversent, des réflexions plastiques et techniques qui sont les leurs, de leurs exigences, de leurs appréhensions d’un réel qui les force parfois à adapter leurs sujets. Ils racontent l’attente d’une météo clémente ou d’une lumière propice, la préparation millimétrée d’un shooting mais aussi l’accueil de l’imprévu.
Les journaux sont réjouissants, sensibles et souvent drôles comme les récits de navigation de Kourtney Roy sur les ferries qui assurent les liaisons entre le territoire et les îles au large des côtes françaises. Qu’on les considère dans l’instant de leur écriture ou qu’on les relise rétrospectivement, les journaux de bord composent une sorte de performance fédératrice établissant un lien concret entre l’individuel et le collectif, le temps long et le quotidien, l’inconscient et l’intentionnel, le marginal et le général.
L’épreuve de photographier
Du carnet d’écrits et de croquis de la jeune Anouck Desury sur les boxeurs roubaisiens aux réflexions manuscrites de Daniel Challe sur le monde du syndicalisme, il y a autant de manières d’appréhender un sujet que d’en raconter la mise en œuvre dans un journal de bord. En témoignent également les repérages de Pierre Hybre sur les oubliés de la Plastic Vallée à Oyonnax ou l’enquête photographique mêlant texte et courtes interviews que Mat Jacob consacre à un SDF disparu dans le Doubs. On repère néanmoins dans ces productions une constante : le métier de photographe requiert des qualités d’engagement, de patience et de persévérance – un travail résumé ainsi par David Godichaud qui écrit son journal de bord sur sa Remington, paraphrasant Marguerite Duras : « L’épreuve de photographier c’est de rejoindre chaque jour le travail qui est en train de se faire et de s’accorder une nouvelle fois avec lui. »
Héloïse Conésa et Emmanuelle Hascoët
Article paru dans Chroniques n° 97, avril -juillet 2023