La Bible de Gutenberg sous l’œil de Nathalie Coilly
C’est à Johann Gutenberg, né vers 1400 et mort en 1468, que l’on doit l’invention de la typographie européenne. Vers 1454-1455, à Mayence, il imprime la Bible, son chef-d’œuvre. Il en subsiste aujourd’hui une cinquantaine de témoins, un nombre remarquable qui recouvre néanmoins un ensemble hétérogène, car certains exemplaires sont très fragmentaires. Quatre exemplaires de la Bible de Gutenberg sont conservés en France : un à la bibliothèque Mazarine, un à la bibliothèque municipale de Saint-Omer, deux enfin à la BnF. Le premier exemplaire est particulièrement spectaculaire : imprimé sur parchemin, il a été enluminé dans la région même de Mayence et nous est parvenu dans un état de conservation exceptionnel. Le second, plus modeste formellement, a été imprimé sur papier et présente des lacunes significatives, mais il est doté d’une mention manuscrite datée de 1456, qui en fait l’une des rares sources d’époque susceptible de définir la date de fabrication de l’ouvrage. Tous deux portent des indices précieux pour appréhender les débuts de la typographie occidentale et sont, pour cette raison, mondialement connus
Un coup de maître
La typographie a été mise en œuvre à Mayence dès la première moitié des années 1450 pour produire des textes courts, notamment des lettres d’indulgence – documents que les chrétiens pouvaient acquérir contre la rémission des peines encourues en raison de leurs péchés. Elles étaient commercialisées sous la forme d’un simple formulaire d’une page, commandité par une autorité ecclésiastique dans le cadre d’une levée de fonds. S’attaquer à l’impression de la Bible était une tâche d’une tout autre ampleur. Ce faisant, Gutenberg et ses associés sur ce projet, le financier Fust et le calligraphe Schoeffer, ont prouvé de manière éclatante que la typographie était à même de rivaliser en lisibilité et en beauté avec les manuscrits.
La Bible est imprimée dans un caractère d’assez grand module, dessiné selon le tracé de la lettre gothique alors en usage pour les textes liturgiques, parfaitement exécuté. Sa mise en page est conforme aux canons du manuscrit médiéval. Les premiers feuillets de la Bible sur parchemin de la BnF ont même été imprimés en deux couleurs – rouge et noir –, selon les attentes des lecteurs médiévaux. Quoique déjà maîtrisée, la technique de la bichromie n’a pas été retenue au-delà des feuillets initiaux. Gutenberg et ses associés se sont en effet probablement résolus, pour des raisons économiques, à une solution plus commode pour un texte de quelque 1 300 pages : encrer toute la page en noir et laisser aux peintres et aux calligraphes le soin d’apposer les éléments de décor et d’articulation du texte.
Naissance d’un mythe
Les deux exemplaires sont entrés à la Bibliothèque par l’entremise plus ou moins directe d’un même homme, le bénédictin lorrain Jean-Baptiste Maugérard (1735-1815), en 1787 puis en 1792. Maugérard était un bibliographe impliqué dans le commerce du livre au moment où se structurait le marché de la bibliophilie. Conscient de la valeur des premiers imprimés, il visitait les monastères de la région du Rhin en quête de raretés à acquérir pour les proposer ensuite à des collectionneurs fortunés. C’est probablement lui qui, le premier, a publié l’expression de « Bible de Gutenberg », dans une courte contribution scientifique de 1789, alors que le caractère anonyme de l’ouvrage en rendait l’identification encore difficile : un mythe était né. La Bible de Gutenberg est aujourd’hui accessible à tous dans la bibliothèque numérique Gallica.
Nathalie Coilly
Article paru dans Chroniques n° 92, septembre-décembre 2021