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À la table de l’Élysée
En 2013, Bernard Vaussion prenait sa retraite du poste de chef des cuisines du palais de l’Élysée, où il était entré comme commis sous la présidence de Georges Pompidou. Durant son parcours, le chef Vaussion a régulièrement pris des clichés de ses réalisations qui témoignent de la production classique d’une « maison bourgeoise ». Une partie de cette collection découverte et sélectionnée par l’historienne Marion Tayart de Borms a fait l’objet en 2023 d’un don à la BnF.
Originaire de Sologne, Bernard Vaussion s’inscrit dans l’histoire de la profession des maîtres queux. Sa mère occupe un poste de cuisinière-intendante au château des Madères dans le Loiret où son père était régisseur. À l’âge de 14 ans, il devient apprenti chez le pâtissier du village – une formation clef pour comprendre la place éminente qu’occuperont le volume, les couleurs et la brillance dans la suite de sa carrière. Après son service militaire, il travaille principalement en ambassade avant d’entrer à l’Élysée où la brigade n’est alors composée que de neuf personnes, contre un peu plus d’une vingtaine aujourd’hui.
La documentation inédite d’un chef du palais de l’Elysée
La particularité de la collection de photographies de Bernard Vaussion tient dans sa durée, sa régularité et son unité. On y trouve à la fois l’ensemble des entrées, plats et desserts servis, tout comme l’indication de la finalité des repas (dîner de collaborateurs, dîner d’État, dîner officiel ou encore repas de chasse). À travers les divers exemples de réalisations, on perçoit tout d’abord les évolutions techniques mises en œuvre dans l’élaboration des plats. Les farces de poissons ou de viandes sont ainsi, les premiers temps, préparées au pilon : on concasse les fibres, on martèle et on passe au tamis de crin et de soie – pratique classique depuis le XVIe siècle. On remarque également le renouvellement permanent des menus, au contraire d’une carte de restaurant que l’on fait tourner plusieurs semaines, et enfin, la réutilisation des plats servis, les quantités étant calculées pour être proposées aux personnels le lendemain et le surlendemain.
Le maître queux, ingénieur des arts culinaires
Parmi la soixantaine d’ektachromes donnés à la BnF, plusieurs évoquent l’histoire des arts culinaires français, comme le travail du sorbet, connu depuis Henri IV. D’autres révèlent des plats brillants, avec des gelées fines au Sauternes ou des sauces chaud-froitées qui évitent qu’une pièce froide ne se dessèche et ne soit désagréable au palais. L’approvisionnement de la table présidentielle impose une régularité constante dans le volume des produits. Cette contrainte réduit les fournisseurs à quelques établissements et écarte le recours à des producteurs directs qui ne peuvent répondre à une commande rapide de grande ampleur, car le planning de préparation n’excède pas trois semaines. La confection d’un repas peut durer de trois jours à une semaine étant donné les temps de séchage des pièces de décoration (paniers en pâte à nouilles, pastillage). Par ailleurs, l’une des difficultés principales tient à la distance entre les cuisines et les salles où la table est dressée. Longtemps la table présidentielle voit les plats maintenus au chaud dans des bacs de polystyrène, et ce n’est que sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy que le chef Bernard Vaussion obtient la mise en place d’étuves relais.
Documentant précisément presque cinq décennies de production culinaire, la collection de photographies de Bernard Vaussion permet de prendre la mesure de la transmission pluriséculaire d’une haute cuisine passée de l’aristocratie de l’Ancien Régime aux élites politiques contemporaines.
Marion Tayart de Borms
Article paru dans Chroniques n° 101, septembre-décembre 2024