Le Monde en sphères : entretien avec les commissaires de l'exposition

Objet familier des salles de classe et des chambres d’enfant mais aussi objet d’art et de savoir, le globe matérialise depuis l’Antiquité la représentation sphérique du monde. L’exposition Le Monde en sphères retrace l’histoire de ces témoins laissés par les siècles. Catherine Hofmann et François Nawrocki, les deux commissaires de l’exposition, expliquent comment ils ont cherché à raconter la grande aventure de la cosmologie.

 

Entretien

Quel est le propos de cette exposition ?
François Nawrocki : Elle retrace 2 500 ans d’une histoire de la connaissance et des représentations du ciel et de la Terre à travers les globes et les sphères qui les ont matérialisées. Notre approche tisse ensemble les fils de l’histoire des sciences, des représentations et de la dimension philosophique. Elle s’intéresse aussi de près à la dimension esthétique et symbolique de ces objets. Elle montre comment la vision du monde évolue et se renouvelle, depuis l’invention du modèle sphérique dans l’Antiquité jusqu’à la conception d’un cosmos infini en perpétuelle expansion. Nous avons voulu mettre au cœur du parcours des globes et sphères exceptionnels qui sont mis en lien avec des pièces et des œuvres très diverses : cartes, bien sûr, mais aussi vestiges archéologiques, monnaies et camées, manuscrits, estampes, peintures…
Globe céleste attribué à Ibrahim ibn Said al-Sahli al- Whazzan (actif au XIe siècle) Espagne, XIe siècle

 

Comment la représentation du monde sous forme de sphère s’est-elle construite ?
Catherine Hofmann : D’abord à travers l’observation des astres et de leurs mouvements autour de la Terre. Mais cette conception a aussi une origine philosophique : les savants ont vu dans la sphère une forme géométrique parfaite qui ne pouvait donc qu’avoir été choisie par le créateur pour concevoir le monde. Dans l’Antiquité gréco-latine, le modèle qui s’impose est celui d’un monde clos composé de sphères concentriques portant astres et étoiles autour d’une Terre sphérique immobile. Le modèle va ensuite être complexifié d’un point de vue mathématique pour rendre compte des mouvements apparents des planètes, les « astres errants » autour de la Terre. Il est matérialisé par les premiers globes, dès le IVe siècle av. J.-C., et perfectionné par Claude Ptolémée d’Alexandrie au IIe siècle de notre ère.
Sphère terrestre, orbes des planètes et zodiaque, dans Barthélemy l’Anglais, Livre des propriétés des choses. Copie de 1479-1480

Le monde arabe a hérité des connaissances astronomiques perses, indiennes et surtout helléniques, à travers des traductions, notamment de Ptolémée. Entre le VIIIe et le XVIe siècle, des observatoires à Damas, Bagdad, Maragha ou Istanbul, ont permis d’enrichir et de préciser la connaissance des étoiles. Le globe céleste comme l’astrolabe sont parmi les instruments scientifiques les plus répandus dans le monde islamique. Dans l’Occident médiéval, les conceptions antiques sont redécouvertes pour l’essentiel à partir du XIe siècle grâce à des traductions arabo-latines. Elles sont réinterprétées selon les croyances chrétiennes, comme l’illustre une très abondante iconographie, plaçant l’enfer au centre du monde et l’empyrée, séjour de Dieu et des anges, à l’autre extrémité.

F. N. : Un autre propos de l’exposition est de montrer comment progressivement, sans perdre un certain nombre de fondements théoriques ou de méthodes établis au fil des siècles, on en arrive à des conceptions de l’univers de moins en moins finies et fixistes, ou si l’on préfère, de plus en plus ouvertes et évolutives. Le système hérité de Ptolémée, qui n’a rien de naïf, repose sur des principes mathématiques complexes très rigoureux. Il est cohérent dans un système d’hypothèses métaphysiques : il s’agit d’expliquer par le calcul, et donc de prévoir, chacun des phénomènes connus. Mais d’évolution en révolution, la science progresse, l’observation met en cause les dogmes, pose des énigmes, et de nouveaux postulats guident la recherche, dans un va-et-vient permanent entre la théorie et la pratique. Chaque époque, en particulier de révolutions scientifiques, a apporté de nouvelles pierres à un édifice de connaissances qui ne fait pas table rase du passé mais au contraire se construit en recomposant et en réinterprétant les acquis.

 

La sphère est liée au pouvoir et à la domination du monde

La sphère a une forte dimension symbolique…
F. N. : La sphère est liée au pouvoir et à la domination du monde. Les empereurs sont souvent représentés tenant un globe dans leurs mains. Dès le 1er siècle avant J.-C., l’empereur Auguste s’attribue cette forme qui devient un attribut de la symbolique impériale. Au Moyen Âge, le globe, surmonté d’une croix, est dominé par son Créateur ou porté par le Christ : désormais, lorsqu’un empereur ou un roi fait appel à la symbolique du globe, son image confère une dimension d’apothéose, de délégation sur terre d’un pouvoir divin.

À la Renaissance, le globe, vecteur et somme des nouvelles connaissances astronomiques et géographiques, devient parallèlement un symbole de savoir érudit. En miroir de ces quêtes éperdues soit de connaissance, soit de pouvoir, de richesse et de domination, le globe représente la vanité du monde et des accomplissements humains, leur caractère périssable, éphémère, les retournements de fortune. Il roule et entraîne avec lui les destinées : on voit ainsi souvent des gravures montrant la Fortune juchée sur un globe. C’est aussi un lieu commun des recueils d’emblèmes et des tableaux de vanités, où le globe est peint en nature morte, avec un crâne et d’autres objets.

C. H. : La sphère est à la fois une forme géométrique quasi parfaite qui va incarner la perfection du pouvoir, du savoir et de la création divine, mais c’est aussi la boule qui tourne ! Cette symbolique se développe au XVIe siècle, et peut être associée à l’instabilité du monde, notamment à cette époque où les guerres de religion font rage. La boule est associée à la folie du monde, au « monde à l’envers ». On pourra d’ailleurs voir dans l’exposition un globe à l’envers, doté d’une croix fichée en terre, avec des scènes de guerre et de débauche peintes à l’intérieur, le diable juché au-dessus.

Affiche pour le grand globe céleste de l’Exposition universelle de 1900
La symbolique continue à s’enrichir aux XIXe et XXe siècles : à l’époque des expositions universelles, puis du capitalisme mondialisé, le globe devient un symbole de l’expansion mondiale de certaines grandes entreprises et de la diffusion planétaire de produits industriels. Pour nous aujourd’hui, les images de la Terre, vue de l’espace notamment, rendent sensible la beauté mais aussi la fragilité d’un globe sous pression politique, écologique et dont nous savons qu’il n’est qu’un astre parmi une infinité d’autres dans un cosmos dont nous ne connaissons qu’une infime partie.

 

 En savoir plus sur l’exposition « Le Monde en sphères »

 

Informations pratiques

Horaires de l’exposition Le Monde en sphères

Pictogramme horaires

Mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi :
10h00 - 19h00

Dimanche :
13h00 - 19h00

Fermé le lundi et les jours fériés. Fermeture des caisses à 18h

Accès

Pictogramme acces

Bibliothèque François-Mitterrand
Quai François Mauriac,
75706 Paris Cedex 13

 

ACCESSIBILITE
 
Parcours accessibilité : dispositifs à voir, à écouter et à toucher.

 

Ressources