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Le monde pour horizon
Traversés par mille et une composantes culturelles, les fonds de la Bibliothèque nationale de France se sont construits au fil des siècles dans une dynamique constante d’ouverture à d’autres civilisations. À partir du 21 septembre 2024, la galerie Mazarin du musée de la BnF, site Richelieu, met en lumière les collections extra-européennes de la Bibliothèque, marquées par les échanges intellectuels, artistiques, scientifiques et culturels qui ont nourri l’histoire des relations entre la France et le monde. C’est aussi dans ce cadre que Barthélémy Toguo, artiste camerounais dont le travail interroge la mémoire des migrations et le dialogue entre les cultures, a été invité par le musée à présenter une sélection de ses œuvres. Parmi celles-ci, la sculpture en bronze intitulée Caring for memory (prendre soin de la mémoire) installée dans le jardin Vivienne en janvier 2025, conviera le visiteur à une méditation autour de l’histoire et de ses traces.
Depuis son ouverture en septembre 2022, le musée de la BnF offre un accès permanent, dans ses deux ailes et sa rotonde, à une sélection de chefs-d’œuvre issus de ses collections. Afin de rendre compte de la richesse et de la variété des fonds conservés, une nouvelle thématique préside chaque année au choix des pièces présentées en galerie Mazarin. Après avoir mis en avant la constitution de notre identité culturelle à travers le rassemblement patient d’une collection de trésors, au fil des siècles, par la monarchie et par la république, puis en deuxième année, les révolutions de tous ordres dont témoignent les fonds de la Bibliothèque, le musée se propose en cette troisième année de mettre en lumière l’importance de ses collections extra-européennes. En une vingtaine de vitrines, la présentation rend compte ainsi des échanges intellectuels, artistiques, scientifiques et politiques nourris entre l’Europe, particulièrement la France, et les autres civilisations, sur un temps long allant du VIIIe siècle aux années 2010.
À la découverte des collections extra-européennes
La vitrine consacrée à l’invention de l’imprimerie en Europe et en Asie met en regard la précocité de l’Asie dans la mise au point, dès le VIIe siècle, de techniques d’imprimerie à partir de matrices en bois, tandis que l’Occident développe vers le milieu du XVe siècle l’imprimerie à caractères mobiles en plomb, permettant la diffusion en grand nombre des textes. Les liens continus de l’Europe et du Proche-Orient, notamment avec l’Empire ottoman, traversent plusieurs vitrines qui témoignent des échanges commerciaux, des emprunts techniques et des migrations de motifs, des liens diplomatiques, des traductions des textes sacrés, mais aussi des confrontations, comme le montre le souvenir longtemps vivace des croisades. Le continent américain est représenté par des manuscrits du Mexique ancien, achetés par un philanthrope franco-mexicain dans l’intention de les léguer à la Bibliothèque, qui remontent aux premiers contacts avec des Européens. Plus tardives dans nos collections, les relations avec l’Extrême- Orient ont donné lieu à de véritables engouements dans le goût décoratif, avec les chinoiseries au XVIIIe siècle et le japonisme au XIXe siècle principalement, mais aussi à des entreprises savantes explorant les langues, les religions, les sciences et techniques. Une vitrine est ainsi consacrée à la naissance de la sinologie.
Comprendre le rôle joué par la France
Les collections de la Bibliothèque documentent par ailleurs l’histoire des contacts avec l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne, illustrant tant la colonisation du continent, de l’Algérie par la France en particulier, que les efforts d’émancipation de leurs peuples et de leurs cultures, et leur irrigation de la modernité européenne au long des XIXe et XXe siècles. L’égyptomanie conquiert l’Europe au début du XIXe siècle, avant qu’une vogue orientaliste ne lui succède en répétant jusqu’au stéréotype des images de la vie au Maghreb, telle que l’Occident se plaisait à la voir. L’art des peuples d’Afrique subsaharienne inspire les avant-gardes artistiques dans le premier XXe siècle. Les surréalistes tirent parti des métissages culturels qu’engendrent voyages et liens personnels entre promoteurs d’un ordre mondial rééquilibré, auquel aspirent toujours ardemment des artistes contemporains comme Barthélémy Toguo, invité de la résidence-musée de la saison 2024-2025. La nouvelle présentation du musée témoigne ainsi d’une histoire globale aux répercussions toujours actuelles et invite à comprendre le rôle que la France y a joué.
Emmanuel Coquery
Article paru dans Chroniques n° 101, septembre-décembre 2024