Le Pacifique pour horizon
Dans le musée de la BnF, qui explore cette année les collections à travers les échanges culturels entre l’Europe et les autres civilisations, une section est consacrée aux voyages d’exploration. L’occasion de suivre, grâce aux aquarelles de Louis-Auguste de Sainson, les aventures de l’Astrolabe, vaisseau sur lequel l’explorateur Dumont d’Urville parcourt l’océan Pacifique dans la première moitié du XIXe siècle.
L’officier de marine Jules Dumont d’Urville (1790-1842) conduit entre 1826 et 1840 deux voyages dans le Pacifique Sud qui viennent conclure la période des grandes circumnavigations dont Bougainville et Cook avaient été les initiateurs.
Des voyages scientifiques
Ces expéditions pluridisciplinaires embrassent la cartographie, l’hydrographie, l’histoire naturelle mais également l’ethnographie et l’anthropologie. La première (1826-1829), commanditée par le ministère de la Marine, est consacrée à l’exploration des côtes de l’Australie occidentale et la Nouvelle- Zélande jusqu’à la Nouvelle-Guinée et l’archipel malais. C’est au cours de ce voyage à bord de l’Astrolabe que Dumont d’Urville apprend la découverte, par un marin irlandais, de l’épave d’un des navires du célèbre navigateur Jean-François de La Pérouse dont on recherche la trace depuis plusieurs décennies. Dumont d’Urville se rend à Tikopia et obtient les premières informations qui le conduiront sur les lieux du naufrage à Vanikoro (îles Salomon). Le second voyage (1837-1840), malgré les réserves d’une partie de la communauté scientifique, obtient le soutien du roi Louis-Philippe. Après une traversée du Pacifique Sud depuis le Chili, l’expédition explore une vaste zone allant de l’Insulinde aux mers du Sud et se prolonge jusqu’au continent Antarctique. Exposé dans le musée à partir de la fin du mois de mai, le journal manuscrit de Joseph Seureau, quartier-maître de timonerie à bord de la Zélée, second navire de l’expédition, est un précieux témoignage des conditions de vie quotidienne à bord et des événements exceptionnels survenus durant le voyage.
Les regards des dessinateurs embarqués
L’ethnographie est une préoccupation constante de Dumont d’Urville au cours de ses deux voyages dans le Pacifique, à travers la description et la classification des peuples océaniens, que viennent appuyer les collectes anthropologiques et autres pratiques phrénologiques menées sur le terrain. L’ensemble des membres des équipages s’intéressent de près aux populations rencontrées. Le rôle des dessinateurs Ernest Goupil, Louis le Breton ou encore Louis-Auguste de Sainson, embarqués dans ces expéditions, est essentiel dans la connaissance des modes de vie des populations et dans l’appropriation visuelle de ces réalités nouvelles. Sainson, peintre du premier voyage, documente les opérations de reconnaissance et d’approvisionnement menées lors des différents mouillages, mais il rend compte surtout des contacts avec les autochtones, tantôt amicaux, tantôt hostiles. Il est le témoin des transactions, des temps d’échange et de partage lors de cérémonies traditionnelles auxquelles est convié l’équipage, mais aussi des confrontations, des démonstrations de force et des accrochages armés – tant les modalités du contact entre les membres de l’équipage et les populations locales peuvent être contrastées.
Au départ de Toulon, les corvettes l’Astrolabe et la Zélée commandées par Dumont d’Urville se sont donné le Pacifique pour horizon. Les résultats de ces deux expéditions représentent une somme scientifique considérable consignée dans plus d’une quarantaine de volumes et d’atlas, illustrés de lithographies réalisées à partir de dessins originaux. Exposées en galerie Mazarin, les aquarelles de Louis-Auguste de Sainson, conservées au département des Cartes et plans dans les collections de la Société de géographie, témoignent de ce moment particulier dans toute mission d’exploration qu’est la rencontre avec l’Autre.
Olivier Loiseaux
Article paru dans Chroniques n° 103, avril-juillet 2025