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Les Bérus posent leurs malles à la BnF
« Si vous pensez que le punk est juste un divertissement du samedi soir, vous n’avez absolument rien compris… Il est grand temps de saisir qu’être punk consiste à faire par ses propres moyens. À être créatif et non pas destructif. » Cette déclaration du groupe britannique Crass résume bien le parcours des membres de Bérurier noir. Également appelé Bérus ou BxN, il naît le 19 février 1983 lors du concert d’adieu au groupe Les Béruriers fondé cinq ans plus tôt. Le chanteur Fanfan (alias Fanxoa, né François Guillemot) et le guitariste Loran (né Laurent Katrakazos), accompagnés de Dédé, la boîte à rythme, proposent ce soir-là sur la scène de l’Usine Pali-Kao à Paris une véritable performance festive. Fanfan imagine une valise emplie de masques, faux nez, crocs de boucher et autres accessoires de scène qui apportent une dimension scénique au concert. De là sont nées les légendaires malles devenues l’une des marques de fabrique des Bérus.
Une fidélité à la philosophie du mouvement punk
Les concerts s’enchaînent dans des salles ou des squats, dans la rue ou le métro, et les premiers enregistrements sur K7 ou 45t, live ou en studio (Nada en 1983 et Macadam Massacre en 1984), paraissent avec le soutien de labels indépendants tels que VISA ou Bondage. La troupe s’étoffe progressivement avec l’arrivée de nouveaux membres issus de la musique et du cirque. Parmi eux, Masto (né Tomas Heuer), fort de son passé de saxophoniste et percussionniste du groupe Lucrate Milk dont il fut l’un des membres fondateurs en 1979, apporte encore un grain de folie supplémentaire à Bérurier noir. Au fil des années, ils restent fidèles à la philosophie du mouvement punk fondée sur l’indépendance totale et le principe du DIY (Do it yourself ou fais-le toi-même). Formés tous deux aux Beaux-Arts de Paris, Fanfan conçoit une bonne partie des compositions employées pour les affiches, pochettes de vinyles et autres supports graphiques de BxN, tandis que Masto met à profit ses talents de photographe pour immortaliser les tournées et répétitions du groupe. La fibre créatrice des Bérus s’exprime aussi dans l’édition de leurs dossiers de presse et de fanzines.
De l’Usine Pali-Kao à l’Olympia
Les albums se succèdent – Concerto pour détraqués en 1985, Abracadaboum en 1987, Souvent fauché, toujours marteau en 1989 – et la folie bérurière prend de l’ampleur : des salles prestigieuses comme la Mutualité, l’Élysée-Montmartre ou le Zénith accueillent une partie de leurs concerts. Mais aux tournées harassantes dans la « bétaillère » et à la pression médiatique et économique s’ajoute la surveillance pesante des Renseignements généraux qui soupçonnent BxN de connivence avec des groupuscules extrémistes. Au faîte de sa gloire, en novembre 1989, le groupe décide de se saborder comme il est né, en public, sur la scène mythique de l’Olympia.
Deux fonds exceptionnels sur la contre-culture musicale des années 1980
Exceptionnels par leur complétude, les deux fonds donnés à la BnF par Fanfan et Masto permettent d’aborder nombre de questions liées à cette contre-culture musicale commencée au début des années 1980. Les manuscrits musicaux se mêlent aux brouillons, carnets de notes, correspondance, agendas et articles de presse. Des maquettes et dessins originaux des pochettes d’albums ou des affiches, ainsi qu’une collection importante de photographies y côtoient les accessoires et costumes de scène, les enregistrements ou encore la riche documentation qui a contribué à créer l’univers artistique, philosophique et politique caractéristique des Bérus et de la scène dans laquelle ils s’inscrivent. Enfin, la large période chronologique couverte par ces deux fonds, de 1977 à 2020, permet de dépasser le seul cas BxN pour se plonger dans l’œuvre de ceux qui l’ont précédé (Lucrate Milk) ou lui ont succédé (Molodoï, Anges Déchus). Avec ce don, voulu par Fanxoa et Masto comme un véritable passage de culture, c’est tout un pan de l’histoire du rock alternatif hexagonal qui est mis à la disposition des lecteurs de la BnF.
Benoît Cailmail
Article paru dans Chroniques n° 92, septembre-décembre 2021