Les livrets de spectacles musicaux au département Littérature et art

Opéras, opéras-comiques, vaudevilles mêlés d’ariettes, ballets… tout un répertoire que l’on associe – à juste titre – aux collections des départements spécialisés de la Bibliothèque nationale de France (Musique et Bibliothèque-musée de l’Opéra, Arts du spectacle, Arsenal).  Pourtant chercheurs et amateurs trouveront aussi de quoi satisfaire leur curiosité sur la rive gauche de la Seine, dans la bibliothèque de Recherche de la Bibliothèque François-Mitterrand, avec plus de 20 000 livrets de spectacles musicaux conservés au département Littérature et art.

Les ouvreuses, auxiliaires des bibliothécaires

Hébergé sur le site François Mitterrand, cet ensemble de documents se rapportant à l’art lyrique, au ballet et au théâtre incluant des parties chantées, tel le vaudeville au dix-neuvième siècle, est fort d’environ 34000 unités, qu’on peut réduire à 20000 si l’on écarte les exemplaires multiples. La présence de tels exemplaires multiples est assez fréquente lorsqu’il s’agit de dons en provenance de théâtres, principalement parisiens.
En effet, lors des représentations, les livrets n’étaient pas vendus, mais loués pour la durée du spectacle. C’était, pour les ouvreuses qui assuraient ce service, une source de revenu complémentaire, en sus de la location de jumelles et des pourboires. Les ouvreuses ne percevaient aucun salaire, et ne pouvaient compter que sur la générosité du public. Il en résultait une concurrence féroce pour l’obtention d’une affectation aux étages « nobles » (parterre, balcon, premières loges), fréquentés par la fraction la plus fortunée de ce public, et réputée la plus dispendieuse. Ce système de rémunération des ouvreuses a d’ailleurs largement perduré dans les cinémas et théâtres parisiens, et même à l’Opéra, jusque dans la décennie 1970-1980.
 

Archéologie administrative

L’origine de ce fonds de livrets, qui n’est pas un ensemble homogène, mais un agglomérat de documents de provenance variée, n’est pas aisée à tracer. Pour le dix-neuvième et le vingtième siècle, la majorité d’entre eux est néanmoins entrée à la BnF sous les diverses formes de dépôt légal : dépôt direct à la Bibliothèque nationale, dépôt dans les préfectures par les imprimeurs de province. Dans ce cas, il était fréquent qu’un exemplaire en surnombre soit rétrocédé à la Bibliothèque nationale, tandis que le ou les autres étaient attribués à des bibliothèques municipales classées. L’inverse était aussi vrai, et des ouvrages déposés à la Bibliothèque nationale ont pris le chemin des grandes bibliothèques de province.
Registres d’inventaire - BnF
Les registres d’inventaires, reconstitués a posteriori dans la première moitié du XXe siècle, en témoignent, tout en nous plongeant dans l’histoire administrative de la France. Des départements aujourd’hui disparus ou ayant changé de nom figurent parmi les mentions de provenance : Seine-et-Oise (qui correspondait, avant 1968, aux Yvelines, à l’Essonne, aux Hauts-de-Seine, à la Seine-Saint-Denis, au Val-de-Marne et au Val-d’Oise réunis), Seine inférieure (rebaptisée Seine maritime en 1955)…

Questions de chronologie et de linguistique

La répartition par tranches chronologiques (le total étant inférieur au nombre de documents physiques, plusieurs exemplaires d’un même document pouvant être rattachés à une notice unique) se présente comme telle :
  • 1500-1599 : 6 notices
  • 1600-1699 : 553 notices
  • 1700-1799 : 2777 notices
  • 1800-1899 : 13323 notices
  • 1900-1999 : 2419 notices
  • 2000-2021 : 184 notices
Si l’on s’intéresse à la ventilation par langues (comptabilisé cette fois par exemplaires), on constate une large prééminence des ouvrages en français (30 871), logiquement suivis par ceux en italien (1873). De manière plus inattendue, on relève la présence que quelques livrets en langues nordiques, en dialecte et même une adaptation en esperanto de Monsieur Badin, de Georges Courteline.

Henri de Rothschild, le théâtrophile généreux

Ancienne ariette de La Fée Urgèle, parodie anonyme (1775) de l’opéra-comique d’Egidio Romualdo Duni sur un livret de Charles-Simon Favart, créé à Fontainebleau en 1765. BnF, LLA, Z ROTHSCHILD-4151

Le seul sous-ensemble cohérent – quand à sa provenance – de ce fonds de livrets est celui regroupé sous la cote Z-Rothschild. Il concerne les documents donnés à la Bibliothèque nationale en 1933 par Henri de Rothschild, fils du célèbre collectionneur, le baron James de Rothschild. Henri de Rothschild –   qui dirigea le théâtre Antoine –  s’était lui-même constitué une bibliothèque dramatique couvrant les arts de la scène du XVIIe au XXe siècle. Sur les 6115 pièces qu’elle comportait, 1116 sont aujourd’hui préservées au département des Manuscrits, tandis que les 4999 autres ont intégré le département Littérature et art de la BnF. Parmi ces derniers, 1690 entrées au catalogue concernent des ouvrages lyriques, des ballets ou des vaudevilles. La collection Rothschild présente toutefois la particularité de ne comporter que des ouvrages en langue française, ce qui la distingue du fonds général de livrets conservés au département Littérature et art, au sein duquel un large éventail de langues et dialectes indo-européens est représenté.

La logique de constitution de la collection Rothschild apparaît aussi au travers des tranches chronologiques qu’elle recouvre : XVIIIe et surtout XIXe siècle pour l’essentiel (les quelques notices de la période 1900 – 1999 concernent des ouvrages dont la publication est antérieure à 1930).
  • 1600-1699 : 3 notices
  • 1700-1799 : 184 notices
  • 1800-1899 : 1263 notices
  • 1900-1999 : 48 notices

Malle aux trésors

La collection de livrets conservée au département Littérature et art renferme, aux côtés d’ouvrages assez largement diffusées, quelques raretés  introuvables dans d’autres bibliothèques françaises, voire même dans d’autres départements de la BnF, comme cet exemplaire de l’édition de 1675 du livret de La Divisione del Mondo, opéra de Giovanni  Legrenzi, créé au Teatro San Salvador de Venise, avec un luxe exceptionnel de décors et de costumes, qui assurera un succès durable à l’ouvrage. Une très belle copie manuscrite de la partition est préservée au département de la Musique de la BnF. Legrenzi, auteur d’une vingtaine d’opéras, est passé à la postérité en tant que musicien d’église, du fait de ses fonctions de Maître de chapelle à la basilique Saint-Marc de Venise, alors l’un des postes les plus prestigieux en Italie et qu’il occupa de 1685 à sa mort en 1690.

La Divisione del Mondo, Opéra de Giovanni Legrenzi sur un livret de Giulio Cesare Corradi, créé à Venise en 1675. BnF, LLA, 8-YTH-50911

Cabinet de curiosités

Les Deux chasseurs et la laitière (De Twee jaegers en de Melckverkoopster), traduit en flamand par Jean-François Cammaert (1699-1780), Bruxelles, 1764. BnF, LLA, 8-YTH-69874

On trouve aussi  parmi ces documents des témoignages de la diffusion de la culture française dans le monde. Ainsi, les opéras-comiques étaient-ils, au XVIIIe siècle, fréquemment traduits en flamand / néerlandais pour être représentés à Bruxelles ou à Amsterdam. Ainsi, Les Deux chasseurs et la laitière, d’Egidio Romualdo Duny, avec un livret de Louis Anseaume, paraît dans la future capitale de la Belgique dès 1764, moins d’un an après sa création à Paris, le 23 juillet 1763.


Plus inattendu encore, des traductions finlandaises d’opéras romantiques français comme Les Huguenots (Meyerbeer) et La Juive (Halévy) figurent aussi au catalogue. Publiées respectivement en 1876 et en 1878, ces traductions profitent du regain d’intérêt pour ces ouvrages créés sous la Monarchie de Juillet et repris tous deux en 1875 au Palais Garnier, qui venait juste d’être achevé.

Bibliographie

Sélection d’ouvrages en français consultables au département Littérature et art de la BnF. Les ouvrages sont classés par ordre antéchronologique de parution.

En quête de requêtes

Quelques exemples de recherche dans les collections de livrets du département Littérature et art.
Attention, il est inévitable que les requêtes via les moteurs de recherche du Catalogue général et de Gallica génèrent une part de bruit, c’est-à-dire quelques résultats non pertinents venant s’agglomérer aux résultats effectivement désirés.

Pour aller plus loin