Les mille et une pages de Grothendieck
La BnF organise des manifestations consacrées à l’œuvre mathématique et à l’engagement militant d’Alexandre Grothendieck (1928-2014) après 1970, à l’occasion de l’entrée dans ses collections, en septembre 2023, d’un fonds exceptionnel de manuscrits.
« Les choses qui m’intéressent ne pourront manquer d’intéresser quelqu’un et même quelques-uns, que ce soit dans dix ans ou dans cent ans, peu importe au fond. C’est cela qui donne un sens à mon travail, même si celui-ci se fait dans la solitude […] » La journée d’étude du 22 janvier 2025 répond à ce souhait exprimé en 1984 dans Récoltes et Semailles par Alexandre Grothendieck qui voyait dans les mathématiques une « aventure collective ».
Le départ du « grand monde »
Considéré comme l’une des figures les plus en vue du « grand monde mathématique » et l’un des protagonistes de l’âge d’or de la géométrie algébrique, Alexandre Grothendieck quitte avec fracas, en 1970, l’Institut des hautes études scientifiques (IHES) où il est professeur. Après trois années de «militantisme antimilitariste et écologique », il rejoint l’université de Montpellier en 1973. En janvier 1984, il a sous le coude « deux volumineux cartons de notes manuscrites », soit quelques milliers de pages de réflexions mathématiques, qu’il évoque dans Esquisse d’un programme. Ce texte est adressé au Comité national pour justifier une demande d’admission au CNRS mais aussi à quelques mathématiciens qui le liront et le feront lire. La demande est acceptée et Grothendieck redevient chercheur au CNRS jusqu’à sa retraite en 1988. Il se retire en 1991 à Lasserre, en Ariège, et meurt en 2014 sans avoir publié ses Réflexions mathématiques.
Une œuvre mathématique en héritage
Si Grothendieck cesse toute publication d’article scientifique à partir de 1970 et ne parvient pas à concrétiser ses projets éditoriaux durant les années 1980, il ne rompt pourtant jamais tout à fait avec les mathématiques. Ses idées, qui circulent à travers des textes transmis à la communauté mathématique, comme Pursuing Stacks, ont été assimilées et développées durant les trente dernières années. Les notes mathématiques accumulées tout au long des années appartiennent aussi à cet héritage. On peut découvrir aujourd’hui celles de la période 1949-1991 numérisées sur le site des Archives Grothendieck de l’université de Montpellier, tandis que des manuscrits inédits de la période 1987-1999, consacrés aux mathématiques, à la physique, ainsi qu’au problème moral du Mal, viennent de rejoindre les collections de la BnF.
L’aventure collective des mathématiques
On pourrait s’étonner de l’intérêt porté par les mathématiciens à des manuscrits oubliés, quand bien même ils seraient l’œuvre d’un génie solitaire, en jugeant que les mathématiques contemporaines, dont les progrès sont incessants, ont a priori peu à faire avec l’érudition. Aujourd’hui, sur un site web d’« archive ouverte » nommé arXiv, les mathématiciens du monde entier enrichissent chaque jour le corpus mathématique de nouveaux éléments. Ils écrivent pour être lus et pour que leurs travaux soient discutés et utilisés. C’était aussi l’intention de Grothendieck. L’apparente solitude du génie est vouée à être peuplée par ceux qui poursuivent l’aventure collective des mathématiques en lisant ses textes.
- En savoir plus sur les manifestations autour de l’œuvre d’Alexandre Grothendieck 21 et 22 janvier 2025 | François-Mitterrand
Aline Hartemann, Sébastien Maronne et Bertrand Toën
Article paru dans Chroniques n° 102, janvier-mars 2024