Les rencontres thématiques de l'ARSAG : « Conditionnement et déplacement de collections », 7 mai 2010

dans Actualités de la conservation, n° 29, 2011
Mots-clés dans l’index : conservation préventive et conditionnement
Brigitte Leclerc, BnF/DSC/laboratoire.
 

Une présentation du travail normatif dans le domaine du transport et de l’emballage inaugure cette journée annuelle de travail et d’échanges appréciée de tous les acteurs de la conservation des biens culturels et en particulier des œuvres graphiques et photographiques.

Christine Capderou du CRCC et Thi-Phuong Nguyen de la BnF font le point sur la réflexion des groupes AFNOR. C. Capderou présente, le travail en cours dans le comité technique européen CEN/TC 346, groupe de travail WG5, auquel contribue la France dans la commission CNCBC Conservation des biens culturels de l’AFNOR. Un groupe d’experts élabore des préconisations et exigences relatives à l’emballage des biens culturels en vue de leur transport. Rédigée en anglais, elle sera ensuite traduite en français et en allemand et devrait être publiée en juillet 2011 (prEN 15946). Elle fournira une méthodologie pour le choix de l’emballage basée sur l’évaluation des risques par rapport à l’œuvre et aux caractéristiques du déplacement (trajet, présence ou non d’un convoyeur, par exemple). Sans nommer précisément des matériaux, La norme énoncera quelles protections les matériaux d’emballage doivent procurer aux objets en transit et donnera des recommandations pour les manipulations et constats d’état nécessaires à ces opérations d’emballage, déballage, remballage et stockage des matériaux d’emballage. Le but n’est pas d’élaborer un mode d’emploi mais de soulever les questions à se poser et de faciliter le dialogue entre les différents acteurs. Le transport fera l’objet d’une autre norme.

Thi-Phuong Nguyen explique, quant à elle, les réserves de la France par rapport à la norme ISO 16245 sur les conditionnements cellulosiques qui vient d’être publiée par le sous comité technique de normalisation ISO TC46/CN10 : Information et documentation/Archivage matériel des documents. Cette norme devrait combler un manque de la norme ISO 9706 Papiers pour documents : prescriptions pour la permanence qui vise initialement le papier comme support d’information et non comme matériau de conservation. Deux points de la nouvelle norme s’avèrent insuffisants : les cartons de certaines boîtes (type B) sont autorisés à contenir de la lignine, sans mention de taux maximum, alors que des études récentes tendent à montrer un impact néfaste des composés émis par la lignine sur la bonne conservation des collections papier. En outre, les caractéristiques de résistance des boîtes ne prennent en compte que la résistance à la compression et pas celle à la chute. Il lui est cependant reconnue de nombreux points positifs, concernant les prescriptions sur la nature des revêtements extérieurs et intérieurs : l’absence de dégorgement des couleurs, l’absence d’azurants optiques, l’aptitude au marquage, le système de fermeture, l’utilisation de papier ISO 9706 pour les boîtes de type A, la résistance aux ouvertures/fermetures répétées. Elle ne sera pas traduite en français.

Parallèlement, deux nouvelles normes sont en chantier, sur les conditionnements en matériaux synthétiques d’une part et sur les papiers et cartons de conservation, d’autre part. La norme ISO 11799 Prescriptions pour le stockage des documents d’archives et de bibliothèque est en cours de révision, la nécessité de son évolution devenant évidente.

Les deux interventions suivantes s’axent sur la recherche de matériaux ou de méthodes de protection des documents ou objets contre certains agents de dégradation : Véronique Rouchon, après avoir rappeler les qualités que l’on attend d’un matériau de conditionnement adapté à la conservation (stabilité chimique, protection contre la poussière, les polluants, physico-chimiques et biologiques, tout en laissant l’objet «respirer»), montre la difficulté à évaluer la capacité de papiers ou cartons de conditionnement contenant des charges (les principales charges des papiers de conservation ? carbonate de calcium, oxyde de magnésium, zéolithes, charbon actif ? sont promptes à capturer les polluants, dont les COV, dont un des polluants le plus fréquemment rencontré est l’acide acétique émis par les mobiliers et/ou les collections elles-mêmes.). Après avoir cherché à caractériser l’influence des charges sur la capture des COV, la recherche s’est plutôt orientée vers l’évaluation de la faculté de papiers type à protéger les biens culturels. Le comportement des papiers de protection testés (les papiers de conservation testés : à charbon activé, avec carbonate de calcium, avec zéolithes, avec oxyde de magnésium) se montre très différent suivant le taux d’humidité appliqué. Les premiers résultats montrent un effet protecteur des zéolithes et surtout de l’oxyde de magnésium. Les études ayant été menées à température élevée, ce qui privilégie les réactions chimiques, doivent être poursuivies à température plus basse pour mettre maintenant en évidence les réactions de type physique.

Le conditionnement sous atmosphère appauvrie en oxygène ? anoxie ? améliore-t-il, dans les conditions climatiques des lieux de stockage, la conservation des documents dont la cellulose est dégradée par les encres ferrogalliques? C’est dans le cadre d’un programme de recherche du PNRCC que Maroussia Duranton, du CRRCC, a exploré cette piste, sachant que l’oxygène, en présence du fer des encres, est responsable d’un des deux processus principaux de la dégradation de la cellulose, l’oxydation (l’autre étant l’hydrolyse acide, favorisée par une forte humidité). Ces deux processus réactionnels sont concomitants sans qu’on sache bien lequel est prépondérant dans les conditions de stockage. Il apparaît que le phénomène d’oxydation est dominant à une humidité relative inférieure à 50 %. Des papiers éprouvettes saturés de différentes combinaisons des composants d’une encre ferrogallique ont été soumis à différents taux d’oxygène et d’humidité relative, puis vieillis. L’état de dégradation de la cellulose a ensuite été mesuré par son pH et son degré de polymérisation. Il s’avère que la dégradation est d’autant plus importante que l’encre est concentrée et le taux d’oxygène élevé. Seuls des taux très bas d’oxygène, inférieur à 0,1 % (comme lors des traitements de désinsectisation), permettent de réduire significativement la dégradation par oxydation de la cellulose. Une baisse du taux d’oxygène de 20 % ? taux présent ordinairement dans l’air ? à 15 % (taux des systèmes anti-incendie) n’est pas suffisamment efficace. Mais un conditionnement durable à long terme avec un taux résiduel d’oxygène inférieur à 0,1 %, est pratiquement inenvisageable en raison des besoins liés à la communication des documents et de la difficulté à maintenir ce taux d’oxygène très bas.

Les problématiques liées à la multiplication des expositions ont sous-tendues les deux exposés suivants. Pierre-Emmanuel Nyeborg et Véronique Landry sont quotidiennement confrontés au challenge de présenter et de transporter des œuvres photographiques contemporaines issues de procédés argentiques ou d’images numériques, de taille de plus en plus importante, d’une grande variété et complexité de compositions, de strates et d’une grande fragilité. Les systèmes de montage (supports, adhésifs, matériaux de fixation), d’encadrements, d’accrochage, de présentation, d’emballage, peuvent s’avérer causes de détériorations par leurs émanations nocives et/ou leur instabilité physico-chimique. Un environnement et/ou des manipulations inadaptées provoquent des tensions ou des chocs mécaniques ou climatiques. De nombreux exemples illustrent ces propos. Ce constat amène des conseils et recommandations dont l’application permet progressivement d’améliorer la conservation des œuvres à la fois pour leur stockage et leur exposition : critères pour le choix des matériaux de montage, d’emballage, de protection (mécanique, climatique et contre les polluants, le feu) en fonction de la composition, de l’état, de la taille et du poids des œuvres; qualité du micro-environnement enfermé dans les cadres/volumes de présentation; propreté des espaces; adéquation des équipements. Un prototype qui prendrait en compte toutes ces exigences est actuellement testé : le cadre MRT, sorte d’écrin pour la Manutention, la Réserve, le Transport.

Grâce à un quiz et un court-métrage édifiant, Michel Dubus du CRRMF pointe d’emblée les questions cruciales que nous nous posons lors du déplacement de collections, que ce soit sur une courte ou longue distance, une courte ou une longue durée. À quelles modifications ou contraintes climatiques, vibratoires, corrosives sont soumises les œuvres ? Quelles sont les étapes du transport qui s’avèrent les plus risquées et dommageables pour les oeuvres? Ces phénomènes sont mesurables. Les résultats confirment-ils ce que nous pressentons de ces risques ? Pendant quinze années, le département dont fait partie Michel Dubus a suivi divers paramètres comme la température, l’humidité relative, la pression, les accélérations, les vibrations au cours de trajets par divers moyens de transport (chariot, voiture, camion, avion -en soute- ?) grâce à des appareils d’enregistrement, apportant des débuts de réponse.

À la différence des chocs qui créent un dommage immédiat, les vibrations ont des effets cumulatifs. Leur impact dépend en outre de leur fréquence (en Hz) et de la fréquence propre de vibration des œuvres. Plus ces fréquences sont proches, plus les œuvres peuvent entrer en résonance et subir des dommages. Il reste à mener des recherches pour une meilleure connaissance de la fréquence propre des œuvres. Les fréquences des vibrations produites par un avion sont de l’ordre de 3000 Hz, celles générées par un camion de l’ordre de 2 à 50 Hz, tandis que la fréquence propre des peintures sur toile par exemple est comprise entre 4 et 20 Hz.

La nature des œuvres est déterminante aussi dans leur réaction aux transports. Les peintures par exemple peuvent supporter des accélérations très élevées de 40 à 60 G (constante universelle de gravitation) alors qu’elles ne subissent que 0,5 à 2 G lors d’un voyage en avion.

Il ressort des mesures faites, contre toutes prévisions que les problèmes surviennent plutôt avant et après le transport que pendant, et que le voyage en avion, l’œuvre bénéficiant d’une protection soignée (mousses, caisse), est peut-être moins traumatisant qu’un parcours en chariot ou en camion, au cours duquel l’œuvre est ordinairement peu protégée. Quelques indications pratiques s’ensuivent : une protection au dos des peintures est très efficace pour limiter les vibrations et le polystyrène extrudé est particulièrement recommandé du fait de ses vertus isolantes pour le transport en soute en raison de la température qui est de 5C en l’absence d’animaux, la température extérieure étant de -50C. Deux programmes européens s’axent actuellement sur la mesure des vibrations par des méthodes sans contact avec l’œuvre. Le but de ces travaux est d’améliorer de façon objective et argumentée les cahiers des charges pour les transports dans le cadre des prêts.

Le suivi des transports est à la portée de nombreuses institutions, car beaucoup d’appareils sont peu coûteux à l’achat (capteurs thermohygrométriques et de pression). Pour la mesure des accélérations et des vibrations, une demande d’expertise est possible (gratuitement encore lors de cette journée) auprès du CRRMF. À noter également le logiciel PadCAD (téléchargeable sur le site de l’ICC) qui simplifie la conception de calages de protection pour les objets fragiles.

Déménager ou transférer des dizaines de kilomètres linéaires de collections d’archives ou de bibliothèques est l’entreprise colossale accomplie actuellement par trois grandes institutions : la Bibliothèque nationale de France, les Affaires étrangères et les Archives nationales.

La BnF, représentée par Marie de Laubier, Nadia Périgaud et Céline Allain, vient de transférer 36 km linéaires de collections de son site Richelieu vers ses autres sites ou pour resserrement en interne afin de libérer la moitié du bâtiment qui fera l’objet d’une première tranche de travaux de rénovation du mois de janvier 2011 jusqu’à la fin de l’année 2013. L’autre moitié du bâtiment sera rénové dans la foulée, ce qui implique de nouveaux transferts de collections qui sont déjà en préparation. Le site restera ouvert pendant toute la durée de la rénovation.

Les archives historiques du ministère des Affaires étrangères, nous expliquent Françoise Watel et Françoise Aujogue, regroupent dans un nouveau bâtiment construit à La Courneuve en 2009 les archives dispersées jusqu’à présent sur 11 sites à Paris, en Alsace (Colmar) et en Loire-Atlantique (Nantes), soit 60 km linéaires.

Marie-Claude Delmas et son équipe font état du projet de déménagement de collections pour les Archives nationales. Le futur bâtiment, en construction à Pierrefitte-sur-Seine, sera achevé en décembre 2011 et ouvrira en 2013. Il accueillera 180 km linéaires d’archives actuellement conservées dans plus d’une dizaine de bâtiments sur les sites de Paris (50 km linéaires) et Fontainebleau (130 km linéaires).

Même si les raisons qui motivent ces déménagements sont différentes, il est très intéressant de constater des approches conceptuelles et méthodologiques très similaires dans la préparation et l’organisation de ces opérations exceptionnelles. Aucune place à l’improvisation : la réussite de tels chantiers nécessite anticipation, organisation rigoureuse, précision, coordination interne et externe, implication des équipes, qui continuent souvent par ailleurs à assurer la vie quotidienne de l’établissement. Il apparaît comme une nécessité de travailler en constituant des lots homogènes de collections tout en tenant compte des spécificités des documents, (typologie, format, état de conservation, préciosité) pour standardiser le plus possible les traitements, les conditionnements et les modules de transport. Les difficultés et exigences sont nombreuses, telle la volonté de continuer dans les meilleures conditions la communication des documents aux lecteurs à partir de sites distants dans un délai contraint, ou le nombre et la complexité des lieux de départ et de destination des collections transférées.

En préalable à ces déménagements, on note une caractéristique commune : une préparation de plusieurs années qui voit se succéder des phases d’évaluation (récolement, inventaire, constat sanitaire, estimation des besoins en conditionnements nouveaux ou à changer), de traitements (désinfection et/ou dépoussiérage, restauration d’urgence), de (re)conditionnement (ré- étiquetage, pose de codes barres, mise en boîtes, en pochettes, en caisses), d’étude et de gestion des conditions environnementales entre locaux de départ et d’arrivée pour éviter les chocs climatiques, de planification des différentes opérations jusqu’aux chaînes de transfert, de rédaction de cahiers des charges pour l’externalisation de certains chantiers (audit de conservation préventive, dépoussiérage, désinfection, déménagement proprement dit), de formation des intervenants extérieurs, de phases de tests en conditions réelles.

Des outils -bases de données, logiciels- ont été utilisés, développés ou affinés pour regrouper toutes les informations collectées lors des différents chantiers et localiser les collections à tout moment Face à la volumétrie, l’évaluation sanitaire aux Archives nationales, par exemple, a été réalisée par échantillonnage aléatoire suivant la norme NF Z40-011 et l› Universal Procedure for Archives des Pays Bas. Elle a porté sur 5% des collections (sauf pour les archives privées) et a alimenté une base créée à cet effet. Elle décrit, entre autres, la typologie, les matériaux majoritaires, l’état du conditionnement, la nature et le niveau de gravité des dégradations, le niveau des interventions à prévoir. Les résultats de cette évaluation ont été extrapolés à l’ensemble de la collection. À titre d’exemple, 5% des 50 km d’archives des sites parisiens à transférer représentaient 26663 UMC (Unité Matérielle de Conditionnement).

Lors de la réalisation des chantiers, et à fortiori quand ils sont externalisés, une assistance et un accompagnement ainsi qu’un contrôle des interventions sont indispensables, encadrés par des protocoles et procédures précis (fiche de transfert, conformité au calendrier d’exécution, constat d’état des œuvres après opération).

Aussi gigantesque et mobilisatrice que soit l’aventure, ces institutions s’accordent à reconnaître un aspect très positif : ces déménagements offrent une formidable opportunité, du fait de l’approche globale, de constater et d’améliorer l’état sanitaire et le conditionnement ainsi que de mener un travail de fond sur l’organisation intellectuelle et scientifique des collections (rationalisation, regroupement). C’est aussi le terrain idéal d’une collaboration pluridisciplinaire très étroite indispensable à la réussite de ces projets ambitieux.

Des informations pratiques édifiantes sur les écueils à résoudre, la constitution qualitative et quantitative des équipes, la durée nécessaire à chaque opération, le nombre horaire de documents traités, les outils logistiques, informatiques et les matériaux utilisés ont permis d’appréhender très concrètement l’ampleur de ces chantiers.

La revue de l’ARSAG Support tracé publiera dans son numéro de 2010 un compte-rendu détaillé de cette journée.