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L’histoire du quartier Richelieu à la loupe
Charlotte Duvette conjugue depuis quelques mois la fin d’une thèse en histoire de l’architecture et le projet « Richelieu. Histoire du quartier », porté conjointement, depuis 2018, par l’Institut national d’histoire de l’art, le Centre allemand d’histoire de l’art, la Bibliothèque nationale de France, l’École nationale des chartes et le centre André Chastel, rejoints en 2021 par l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Elle revient pour Chroniques sur la façon dont ce projet fait dialoguer chercheurs en sciences humaines et sociales et informaticiens.
Chroniques : Vous êtes depuis mars dernier cheffe du projet « Richelieu. Histoire du quartier », porté par un consortium d’institutions qui relèvent de natures et de champs disciplinaires variés : en quoi consiste-t-il ?
Charlotte Duvette : Le projet porte sur le quadrilatère Richelieu au sens large, soit un territoire compris entre le Palais-Royal, l’Opéra et la place des Victoires. Il a pour ambition d’établir une étude précise et transverse de l’histoire du tissu urbain de ce quartier entre la fin du xviiie siècle et le début du xxe siècle, sous l’angle architectural, culturel, économique et social. Le projet propose un point de vue qui vise l’exhaustivité sur le quartier Richelieu, en intégrant aussi bien l’échelle de la ville que celle du bouton de porte ! Si certains pans de l’histoire de ce quartier sont bien connus, comme ceux qui concernent les galeries, les monuments et les institutions qui s’y trouvent, d’autres aspects ont été peu explorés jusqu’à maintenant : c’est le cas des commerces, ou encore de l’habitat privé, sur lequel porte ma thèse de doctorat.
Comment fait-on de la micro-histoire sur un quartier aussi dense, à l’histoire aussi riche ?
Une première phase a consisté à travailler sur les cartes du quartier : Isabella Di Lenardo, chercheuse en humanités numériques et en histoire urbaine à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, a pris en charge cette étape qui a d’abord permis d’aligner les cartes anciennes de Paris avec la topographie actuelle. Sur cette carte, ont ensuite été géolocalisés les noms des commerçants extraits des bottins, almanachs et annuaires de commerce du XIXe siècle – ce qui représente 220 000 entrées pour le seul quartier Richelieu !
La seconde phase, dont je m’occupe, s’attache à relier à ces informations l’iconographie qui est aujourd’hui à disposition dans les fonds patrimoniaux numérisés, notamment dans Gallica. Il peut s’agir de gravures, de photographies, de coupures de presse, d’affiches publicitaires, mais aussi de types de documents plus inattendus – jetons de commerce, menus de restaurant, cartes de visite, croquis d’architecte. Pris à l’unité, ces documents sont lacunaires, mais rassemblés, ils permettent d’amasser un nombre considérable d’informations. En ce sens, l’interdisciplinarité constitue un pilier du projet : les données textuelles et visuelles qui sont agrégées proviennent de disciplines variées ; elles se complètent et s’enrichissent les unes les autres.
Quelle forme va prendre la collecte de l’ensemble de ces données sur le quartier Richelieu ?
Un des objectifs du projet est la mise en place d’une plateforme numérique collaborative. Destinée à la fois aux chercheurs et aux amateurs d’histoire de l’art, d’architecture ou encore de généalogie, celle-ci permettra de consulter les données agrégées et de les enrichir au fur et à mesure. Je ne suis pas une spécialiste des humanités numériques ou du big data : je suis une historienne de l’architecture qui travaille avec des données numériques – et qui est absolument convaincue de leur utilité ! C’est pourquoi Loïc Jeanson, ingénieur informaticien spécialisé dans l’exploitation et la modélisation des données patrimoniales, m’a rejoint pour travailler à l’élaboration de ce système d’information innovant, grâce à un financement de la Fondation des sciences du patrimoine. Mes recherches vont sans doute s’orienter en fonction des choix techniques qui seront faits dans les mois à venir pour construire la plateforme. C’est là que résident l’enjeu et l’intérêt de ce type de projet, dans la complémentarité des profils et l’adaptation mutuelle aux contraintes d’univers différents – en l’occurrence, celui de l’ingénierie numérique et celui de l’histoire du tissu urbain.
Propos recueillis par Mélanie Leroy-Terquem
Entretien paru dans Chroniques n° 93, janvier-mars 2021
Avec Jadis, géolocalisez-vous dans le passé
Dans le cadre d’une collaboration scientifique entre le département des Cartes et plans de la BnF et l’École polytechnique fédérale de Lausanne, le projet Jadis a utilisé des technologies d’intelligence artificielle pour traiter un corpus de cartes anciennes de Paris. L’algorithme élaboré a permis de vectoriser automatiquement des plans anciens – ce qui revient à transformer les images numérisées en images vectorielles lisibles par un ordinateur. Celles-ci ont ensuite été réalignées sur un fond de carte actuel couplé à une base de données de noms de rues parisiennes historiques.
Une application en ligne, développée par Rémi Petitpierre, donne à voir une partie des résultats du projet. On peut s’y promener dans 350 cartes de Paris, la plus ancienne datant de 1760 et la plus récente de 1949 : en tapant une adresse disparue ou toujours existante dans son moteur de recherche, l’outil permet de s’y géolocaliser et de remonter le temps. Ainsi peut-on voir, au fil des décennies, les rues apparaître et disparaître, les faubourgs se densifier et la ville se transformer.