Marie Darrieussecq - Bibliographie

Marie Darrieussecq en 2011 © Hélène Bamberger
Née le 3 janvier 1969 à Bayonne, Marie Darrieussecq grandit dans un village du Pays basque. Sa mère, professeur de français, et son père, technicien, lui transmettent leur goût pour la lecture. Elle commence à écrire très tôt, et conduit en parallèle des études de lettres : normalienne, agrégée, elle a soutenu une thèse portant sur l’« ironie tragique et l’autofiction » chez Perec, Leiris, Doubrovsky et Guibert (1997).
Son premier roman, Truismes, paraît en 1996 chez P.O.L., qui reste depuis son principal éditeur. Une jeune femme naïve, exploitée sexuellement et économiquement, se métamorphose en truie et se libère des clichés pour inventer sa voix. Cette fable du devenir-truie suscite, en raison de son message volontairement indécidable, des réactions extrêmes qui vont de l’encensement à la condamnation : « Ce livre a été très mal lu. C’est l’histoire d’une libération par la pensée » affirme la romancière. Il connaît cependant un succès spectaculaire et se vend à 300 000 exemplaires. La parution de son deuxième roman, Naissance des fantômes (1998), suscite, en réaction peut-être à ce succès trop rapide, une première polémique : Marie NDiaye l’accuse de « singer » son œuvre. En 2007, cette fois à propos de Tom est mort, Camille Laurens l’accusera de « plagiat psychique ». Plus touchée par ces critiques qu’elle ne l’avoue, la romancière publie en 2010 un essai sur ce qu’elle nomme « plagiomnie » : Rapport de police.

Dans Naissance des fantômes, l’angoisse d’une femme dont le mari a disparu se traduit de manière physique et cénesthésique : autour d’elle le monde semble perdre toute solidité et devenir liquide. Bref séjour chez les vivants (2001) explore de manière plus novatrice encore le fonctionnement de la conscience, en donnant une traduction stylistique au désordre qui règne dans le cerveau : plongé dans les flux de conscience mêlés d’une famille unie par le deuil d’un enfant, le lecteur circule à travers les pensées, les mémoires, les corps traversés de sensations, et partage jusqu’aux palpitations d’une conscience globale flottant à la surface du monde. Après des textes davantage tournés vers l’autofiction, Clèves (2011) renoue avec les controverses de Truismes. C’est aussi l’histoire de la métamorphose d’un corps : une petite fille devient femme. Manquant de mots pour penser cette mutation, elle se débat avec les clichés et les bribes de vocabulaire glanées au hasard, en trois chapitres intitulés avec humour : « Les avoir », « Le faire », « Le refaire ». Marie Darrieussecq a utilisé son journal intime d’adolescente pour se mettre dans la peau de cette princesse contemporaine qui, au même âge que l’héroïne de Madame de Lafayette, affronte la confusion des sentiments et l’obsession du regard d’autrui. Il faut beaucoup aimer les hommes (Prix Médicis en 2013) travaille également sur les stéréotypes et les comportements imposés : un homme noir et une femme blanche se débattent dans l’avalanche de clichés qui entoure les couples qu’on dit « mixtes ».
 
Son dernier roman, Notre vie dans les forêts (2017), est une fable d’anticipation peuplée de clones dans laquelle une psychothérapeute fuit une société de trafic d’organes, de gérontocratie, de totalitarisme sanitaire et politique. Elle vient de publier La Mer à l’envers (2019).

Depuis son premier titre-manifeste, Marie Darrieussecq sait que l’écriture se joue à la fois avec le lieu commun des truismes et contre l’aliénation des clichés. Son écriture, à la fois poétique et triviale, cérébrale et mélodramatique, se caractérise par un puissant mélange de registres. Devenue psychanalyste en 2006, elle écrit « des livres psychologiques contre la psychologie », au plus près du désordre qu’est la conscience : une image chasse l’autre, une sensation parasite une pensée, une citation ou un refrain surgissent de la mémoire, la phrase, chevillée à la violence des émotions, se rompt, s’allonge ou se troue de parenthèses : « Je veux dire au lecteur : Voyez, sentez, entendez […] ceci est un cerveau qui pense ». La romancière fait appel à des références littéraires et cinématographiques très diverses, mais aussi à des collages de chansons, définitions, dictons, fragments de langues étrangères ; le discours scientifique lui apporte également images, métaphores et fictions pour rendre compte du monde contemporain. Elle mêle des procédés d’anticipation empruntés à la science-fiction et d’autres hérités du Nouveau roman (descriptions hyperréalistes, glissements entre les consciences narratives ou sur la polysémie d’un mot, métaphores engendrant des métamorphoses), pour explorer les états limites de la réalité.