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Meurtres en série 2.0
Lauréat 2023 de la résidence numérique Simone et Cino Del Duca - Institut de France, Laurent Gontier est artiste et cartographe, après avoir été enseignant et auteur de guides de voyage. Il a collaboré avec le département Son, vidéo, multimédia de la BnF pour redonner vie à un jeu vidéo culte sorti à la fin des années 1980, Meurtres en série. Rencontre, le 6 décembre 2023, avec un touche-à-tout inclassable.
Le jour du rendez-vous, Laurent Gontier arrive avec un grand sac à dos dont il extrait, au fur et à mesure de la conversation, quantité d’objets improbables : une carte uchronique de la ville de Rennes dessinée par ses soins pour le festival Sirennes, une boîte de diapositives prises sur l’île de Sercq dans les années 1990, un compas de charpentier, un article découpé dans un vieux magazine de jeux vidéo, un guide des îles anglo-normandes et, pour finir, une caisse en bois fermée par des sangles en cuir. Il la manipule avec précaution – et pour cause : c’est l’un des rares exemplaires d’un jeu qui suscite aujourd’hui la convoitise des collectionneurs de rétrogaming, Meurtres en série.
Un jeu vidéo qui a marqué des générations de gamers
Édité en 1987 par la société française Cobrasoft, ce jeu d’enquête est constitué d’une disquette et d’une série d’indices matériels, parmi lesquels une tablette d’argile, un bas de femme, un bâton de dynamite – factice ! –, et les portraits robot des 32 suspects d’un meurtre commis sur l’île de Sercq. Prolongé par des extensions physiques (une pièce située dans le parc de La Villette, à Paris, qui reproduit un des lieux emblématiques de l’intrigue, mais aussi un véritable trésor caché sur l’île anglo-normande), le jeu suscite d’emblée l’enthousiasme, comme on peut le lire dans le compte rendu qu’en fait Jeux & Stratégies à sa sortie : « Sublime ! Meurtres en série fait partie de ces jeux qui marquent, qui font référence, qui atteignent des sommets ludiques. »
« C’était là, dans un coin de ma tête »
Laurent Gontier, alors adolescent et heureux possesseur d’un ordinateur Oric, doit renoncer à ce jeu conçu pour Amstrad et Atari. « Je n’y ai joué pour la première fois qu’à la fin des années 1990, grâce aux premiers émulateurs, se souvient-il. Mais j’avais lu des articles dans la presse informatique, participé à des discussions sur les forums, vu des photos : Meurtres en série a joué un rôle important dans mon rapport au jeu. Ça m’a toujours intrigué, c’était là, dans un coin de ma tête. » Au point, une fois adulte, de rencontrer ses créateurs, Gilles Bertin et Bertrand Brocard – qui lui offre en 2003 la fameuse caisse en bois. Et de proposer à la BnF, qui ne possède pas d’exemplaire de Meurtres en séries dans ses collections (le dépôt légal du jeu vidéo a été instauré en 1992), d’en recréer une version analogique qui sera déposée dans les fonds du département Son, vidéo, multimédia. Pour cela, Laurent Gontier s’appuie sur les échanges qu’il a pu avoir avec les concepteurs du jeu, ainsi que sur les fichiers sources confiés à la BnF par Gilles Bertin. Il définit son travail comme une forme d’archéologie numérique : le code source créé il y a 35 ans, conservé sur un support vieillissant, est condamné à disparaître. « Je suis un peu dans la même situation que les chercheurs qui travaillent sur les manuscrits de la mer Morte ! », s’amuse-t-il, avant d’évoquer la perspective d’un voyage prochain sur l’île de Sercq en compagnie de Bertrand Brocard. Il sera sans doute question de ce retour sur les lieux du crime lors de la restitution de sa résidence à la BnF le 6 décembre prochain. Ou peut-être Laurent Gontier trouvera-t-il une autre surprise à sortir de son sac à dos.
Mélanie Leroy-Terquem
Article paru dans Chroniques n° 98, septembre-décembre 2023