Modes d'entrée des documents à la Réserve des livres rares
Dons et legs
Dès le début de la Révolution se multiplièrent dons d’auteurs ou d’éditeurs à la Bibliothèque nationale. Ces envois révèlent l’importance nouvelle reconnue à l’institution, assimilée à la Nation. Les dons d’auteurs, souvent étrangers, continuent au long du XIXe siècle mais c’est seulement après 1880 que legs et dons au profit de la Bibliothèque nationale vont se multiplier. La Bibliothèque nationale profite aussi largement des redistributions des bibliothèques provenant des anciens palais impériaux, elles-mêmes héritières des éphémères institutions du Consulat et de l’Empire et nourries des prélèvements dans les dépôts littéraires : elle reçoit ainsi des volumes de Compiègne, de Saint-Cloud, de Meudon, de Fontainebleau, dons qui viennent enrichir les collections de la Réserve.
Les grands dons provenant de particuliers introduisent à la Réserve des champs nouveaux non représentés dans ses collections : à ce titre la donation de la collection de Maurice Audéoud en 1898 marque un tournant dans l’histoire des fonds en faisant entrer des éditions très récentes. Un tel enrichissement va permettre à la Réserve de ne pas s’enfermer dans une tradition rétrospective mais de s’ouvrir aussi à l’édition et aux artistes contemporains sans se limiter aux apports du dépôt légal.
Grâce à la générosité de créateurs, d’artistes ou d’éditeurs, ou à celle de leurs proches, la Réserve a vu ces dernières décennies entrer des ensembles d’œuvres, des livres imprimés, mais aussi des maquettes, des recherches graphiques, des exemplaires enrichis et même des archives et des correspondances, représentatifs de l’activité artistique et éditoriale du XXe siècle, qu’aucune politique d’achat n’aurait pu reconstituer s’il y avait eu vente et dispersion.
Dations
Créée en 1968, la procédure de la dation en paiement permet de s’acquitter d’une dette fiscale par la remise d’œuvres d’art, de livres, d’objets de collection, de documents, de haute valeur historique ou artistique. C’est un système qui permet au contribuable d’éteindre sa dette à l’égard de l’Etat et d’enrichir les collections publiques. Les dations se distinguent donc des legs en ce qu’elles représentent un certain coût pour l’Etat. L’offre de dation est instruite par la Direction générale des impôts puis transmise à la Commission interministérielle d’agrément pour la conservation du patrimoine artistique national. Celle-ci émet un avis après avoir entendu les conservateurs compétents. Au vu de l’avis de la Commission, le ministre de l’économie et des finances décide de l’agrément. Dans le cadre de cette procédure, des documents peuvent être affectés par l’Etat à la Bibliothèque nationale de France, notamment à la Réserve des livres rares, pour enrichir ses collections. Parmi les dations venues enrichir les fonds de la Réserve des livres rares, signalons celles de Sonia Delaunay, Dora Maar, Jean Laussade et Jean Ristat.
Achats sur le marché du livre (libraires et ventes publiques)
En 1784, avant d’être engagé à la Bibliothèque royale par l’abbé Desaulnays, Joseph Van Praet, principal collaborateur du libraire Guillaume Debure, fut responsable du catalogue des manuscrits de la vente de la bibliothèque du duc de La Vallière. Lors de cette vente qui fut sans conteste l’événement bibliophilique du XVIIIe siècle finissant, la Bibliothèque royale acquit près de 900 volumes dont 210 manuscrits et 290 incunables.
La première moitié du XIXe siècle connut deux apports exceptionnels, avec les acquisitions effectuées lors des ventes de la collection du comte Justin MacCarthy Reagh, en 1817, et de celle du comte Dimitri Bourtoulin, entre 1839 et 1841. Parmi les ventes qui au XIXe siècle permirent à la Réserve d’enrichir ses collections de façon remarquable, citons ensuite celle des livres de Henri Ternaux-Compans, de N. N. Martineau de Soleinne (1844), d’Antoine-Auguste Renouard (1854), de Félix Solar (1860), de Noël Huchet de La Bédoyère (1863), de Nicolas Yéméniz (1867), d’Adrien Beuchot (1869), de Jean-François Payen (1870), d’Ambroise Firmin-Didot (1879), d’Eugène Piot (1891), de Ricardo Heredia (de 1891 à 1894).
Au XXe siècle, on peut encore relever des achats en nombre à la vente d’Anatole Claudin, libraire-collectionneur dont la bibliothèque fut dispersée à la veille de la Grande Guerre, à celles de Louis Fière, en 1933 et 1938, et à celle de Gustave Mouravit, également en 1938. Après la dernière guerre, il y aura rarement autant d’acquisitions ; néanmoins la Bibliothèque s’enrichit régulièrement au gré de ventes souvent spécialisées : littérature moderne (vente Gaffé, 1956 ; Tzara, 1989 ; Parizel, 1990 ; Millot, 1991), Victor Hugo (Duché, 1972), Balzac (Gabalda, 1976), reliure (Esmerian, 1972 ; Paul Bonet, 1970 et 1990). Citons encore des acquisitions en nombre aux ventes de Jacques Guérin (de 1974 à 1992), du colonel Daniel Sickles (de 1989 à 1992), du Dr Lucien-Graulx (1957-1959), et du marquis Du Bourg de Bozas Chaix d’Est-Ange (1991).
Dépôt légal
Le dépôt légal, au même titre que les acquisitions et les dons, est une source d’accroissement régulier de la Réserve. L’ordonnance de Montpellier du 28 décembre 1537 faisait obligation de déposer à la Bibliothèque royale un exemplaire de chaque livre nouvellement imprimé. En réalité, l’obligation de 1537, en dépit de nombreuses modifications et précisions, fut peu efficace jusqu’à la Révolution. C’est à cette disposition contraignante, toutefois, que l’on doit la conservation à la Réserve de certaines éditions originales remarquables. Le cas de l’édition des Poésies de Lautréamont est un cas particulier : si le dépôt légal de cette édition n’avait pas été effectué en 1870, celle-ci aurait été irrémédiablement perdue ; le seul exemplaire complet que l’on connaisse est en effet celui du dépôt légal, aujourd’hui conservé à la Réserve. Signalons aussi que c’est aussi au dépôt légal que la Bibliothèque doit de conserver l’édition du portrait de Stendhal publié par Mérimée sous le titre HB en 1850, tiré à seulement 25 exemplaires ; l’unique exemplaire connu d’une œuvre de jeunesse de Nerval, la France guerrière, élégies nationales, publiée en 1827 ; l’un des rares exemplaires du Catherine de Médicis publié par Balzac en 1842.
Le nombre d’ouvrages entrés à la Réserve au titre du dépôt légal a évolué au cours du XXe siècle. Dans les années 1950, la Réserve choisissait environ 200 ouvrages parmi ceux reçus à la Bibliothèque au titre du dépôt légal. Depuis cette époque, ce chiffre a baissé : il était de l’ordre d’une centaine dans les années 1970, 1980 et 1990 ; aujourd’hui il s’élève à une cinquantaine. Cette évolution tient non pas tant à une diminution de la production des livres retenus par la Réserve mais qu’à une évolution des critères de choix et à l’interruption presque générale du dépôt par les éditeurs des exemplaires de tête sur grand papier ou des cartonnages d’éditeur, dont le dépôt s’ajoutait auparavant à celui des exemplaires ordinaires. Par ailleurs, la notion de tirage limité n’étant plus considérée en soi comme un critère de rareté, la Réserve a cessé de prendre systématiquement tout ouvrage ou plaquette dont le seul mérite est d’être tiré à moins de 300 exemplaires. De même, jusqu’en 1981, les très petits formats étaient dévolus à la Réserve. Depuis cette date, la Réserve choisit ses livres minuscules.
Actuellement, les livres illustrés constituent la plus grande part des ouvrages qui entrent à la Réserve par dépôt légal. Ce terme générique est volontairement imprécis. Il regroupe ce que certains dénomment livres de bibliophilie, livres de peintres, livres-objets ou livres d’artistes. Ils offrent une multiplicité de formes, de procédés d’illustration, de matériaux utilisés. Le dépôt légal a permis à la réserve de constituer un des fonds les plus importants de livres illustrés français, environ 15000 ouvrages pour le XXe siècle. Certains des plus grands livres – Jazz de Matisse ou La Femme de ma vie d’André Frénaud et Jean Fautrier – sont venus par cette voie.
« Passages Réserve »
On appelle « passages réserve » les déplacements à la Réserve de livres conservés jusque-là dans les magasins généraux du département des Livres imprimés, jusqu’à la fin de son existence en 1998, à la faveur du déménagement dans le nouveau bâtiment du bord de Seine et de sa répartition dans magasins des quatre départements thématiques nouvellement créés. Ces passages, auxquels on procède à l’unité, par petites séries, ou par chantiers, désignent comme « livres rares » les volumes qui en bénéficient.
Au cours du XXe siècle, les passages Réserve ont constitué un phénomène régulier : sur les 30 000 volumes environs dont s’accrut la Réserve entre 1946 et 1996, 6000 y sont entrés sur ce critère, soit 20%. Du point de vue technique de leur signalisation, les volumes ainsi transférés reçoivent une nouvelle cote et sont intégrés dans la suite numérique des cotes de la Réserve. A partir de 1990, toutefois, la procédure est quasiment interrompue, à quelques très rares exceptions près, en raison de l’entreprise du récolement général des fonds imprimés qui exigeait de figer momentanément l’état des collections et dans la perspective d’un transfert de grande ampleur vers la Réserve.
Le but du chantier d’accroissement de la Réserve, conçu dans le cadre du transfert des collections imprimées sur le nouveau site de la Bibliothèque, était d’augmenter de façon considérable le nombre des volumes de la Réserve, estimé alors à 150 000 volumes. Sa mise en œuvre dura un peu plus de deux ans, de décembre 1993 à mars 1996. À l’occasion de ce chantier, environ 58 000 volumes intégrèrent en une seule fois la Réserve, chiffre qui correspond à deux fois l’accroissement global de la Réserve de 1945 à 1996. Cet accroissement représente un transfert d’une ampleur sans précédent dans l’histoire de la Bibliothèque nationale depuis la création de la Réserve par Joseph Van Praet. Depuis la fin de ce chantier d’envergure, la politique de nouveaux passages de caractère plus ponctuel a progressivement repris.