« Mort à crédit » finit son voyage
En 2021, la découverte de 6 000 feuillets inédits de Louis-Ferdinand Céline, que l’on pensait perdus, fait grand bruit. Depuis, les manuscrits de Guerre et Londres ont été publiés chez Gallimard et celui de Mort à crédit a rejoint la BnF.
Le manuscrit de Mort à crédit, qui a fait son entrée dans les collections du département des Manuscrits en février 2024, fait partie de l’ensemble de manuscrits de Céline dont l’existence a été rendue publique par Jean-Pierre Thibaudat en 2021 et qui ont été restitués aux héritiers de Lucette Destouches, la veuve de Céline décédée en 2019, François Gibault et Véronique Chovin. C’est par la voie d’une dation en paiement de droits de succession que le manuscrit a alors rejoint les collections de la Bibliothèque nationale de France.
L’autre chef-d’œuvre de Céline
Laissé par Céline dans son appartement parisien lorsqu’il s’enfuit en Allemagne en juin 1944, le manuscrit y fut recueilli par Yvon Morandat, compagnon de la Libération. Après Voyage au bout de la nuit (1932), Mort à crédit, paru en 1936, est l’autre chef-d’œuvre de Céline. Il se présente comme le récit de l’enfance du « héros » du Voyage…
De l’avis des spécialistes comme Henri Godard, qui a récemment assuré la nouvelle édition de son œuvre romanesque dans la « Bibliothèque de la Pléiade », c’est aussi le texte de la maturité de l’écrivain. Selon lui, toutes les dimensions du roman célinien y sont représentées, « chacune avec une sorte de plénitude » qui fait de Mort à crédit un des romans les « plus riches et les plus complets » de Céline.
Les étapes de la rédaction révélées
Le manuscrit retrouvé est le plus ancien connu à ce jour du texte. Il est également le seul et le plus complet conservé en France et accessible aux chercheurs. Une autre version de Mort à crédit se trouve aujourd’hui dispersée entre une collection particulière et la Houghton Library de Harvard, aux États-Unis. Le manuscrit de la BnF présente un double intérêt : celui de donner, grâce aux variantes, une version primitive pour de nombreuses séquences du texte et, grâce aux versions successives de certaines autres, de montrer les différentes étapes de la rédaction. Les variantes principales de dix séquences ont ainsi été choisies pour être publiées dans la nouvelle édition de la Pléiade « afin de souligner les différences avec la version publiée du roman ».
Un fonds unique au monde
Au département des Manuscrits où il est désormais conservé, le manuscrit a rejoint l’ensemble le plus complet de manuscrits de romans de Louis-Ferdinand Céline conservé dans une collection publique. Depuis une vingtaine d’années, la BnF s’est en effet régulièrement efforcée de rassembler les manuscrits des œuvres majeures de Céline absentes jusqu’alors des collections nationales. Ces acquisitions ont permis de réunir un ensemble dont la concentration et la représentativité sont uniques au monde. Il comprend, outre les manuscrits de Guignol’s band, D’un château l’autre et de Féérie pour une autre fois, celui du Voyage au bout de la nuit que la Bibliothèque avait acquis en 2001, grâce à un mécénat exceptionnel et une contribution du Fonds du patrimoine.
Guillaume Fau
Article paru dans Chroniques n° 101, septembre-décembre 2024