Texte publié en 2010 à l’occasion de la remise du Prix de la BnF à Pierre Guyotat.
«Depuis plus de cinquante ans, l’œuvre de Pierre Guyotat engendre mots et mondes. Dans le livre, mais également au-dehors - en scène, en musique, en dessin - , elle se déploie autour d’un texte conçu sur un mode tour à tour épique, poétique ou prophétique. Quiconque pénètre dans cet univers, réplique déformée du nôtre, y aperçoit entre narration et vision, la guerre - «Iliade» des temps néolithiques, bibliques ou contemporains - , le sexe, la douceur et la volupté aussi, toute une variété de fictions, colorées comme une miniature médiévale où grouilleraient, dans une permanence promiscuité, les humains, les putains et les animaux. C’est une œuvre qui porte en elle le témoignage, tragique et burlesque parfois, de l’histoire d’une humanité à la recherche d’elle-même.
La Bibliothèque nationale de France, conservatoire de la lutte des écrivains avec la langue, se devait de distinguer un auteur dans l’œuvre duquel se réfléchit, comme dans un miroir, la grande histoire de la langue des poètes. Se souvenant du temps des enfantements, ceux de Chrétien de Troyes, Guillaume de Machaut, Rabelais ou Agrippa d’Aubigné…il écrit. Il compose. Il bâtit son monde selon le Verbe. Depuis les premiers opus comme Tombeau pour cinq cent mille soldats (1967) jusqu’aux plus récents - Par la main dans les enfers (2016) - , Pierre Guyotat retourne et réinvente ainsi la langue française. Textes en prose, vers ou versets surgissent ainsi, habités par un rythme, offerts à la lecture, à la proclamation ou à la psalmodie. Le français, restauré et transfiguré, s’y redécouvre langue magnifique, magmatique et brûlante, charriant en elle, des blocs de réel, avec ses mots-matière au plus proche des choses, frissonnant du tremblement de la vie, saisie quand elle est réduite à l’essentiel, comme dans la tétralogie autobiographique Coma (2006), Formation (2007), Arrière-fond (2010), Idiotie (2018).»
Thierry Grillet, secrétaire général du Prix de la BnF