Préparation des journaux de la période 1870-1910 avant reproduction au Centre Joël-Le-Theule de la BnF

dans Actualités de la conservation, n° 29, 2011
Mots-clés dans l’index : numérisation, papier, restauration
Alain Lefebvre, BnF, Centre Joël-Le-Theule, Sablé-sur-Sarthe.
 

Dans les bibliothèques en général, et à la Bibliothèque nationale de France en particulier, les collections de périodiques sont les plus menacées de toutes et sont, en grande partie, incommunicables.

Il y a 30 ans, le rapport Caillet proposait la micro-reproduction en masse de ces documents pour en sauvegarder le contenu. L’activité de doublage/reproduction de la presse mise en œuvre à la BnF découle des préconisations de ce rapport.

À la fermeture en 2002 du centre technique de Provins, spécialisé dans cette activité, les centres de Bussy Saint-Georges et Joël-Le-Theule de Sablé-sur-Sarthe ont poursuivi cette mission en se répartissant les tâches. Bussy s’est orienté vers le traitement des quotidiens reliés et Sablé vers les hebdomadaires essentiellement non reliés et de thématiques diverses : presse de l’Algérie française, coloniale, locale, militante, ouvrière, sportive, culturelle, économique.

Ces titres servent à enrichir des corpus que le département Droit, économie et politique (DEP) a définis en fonction de la demande des lecteurs. L’essentiel des journaux envoyés par le DEP concerne la période 1870-1940. Le papier de ces périodiques est particulièrement fragile, de nombreuses dégradations mécaniques sont liées à la composition chimique du papier, au format mais également au mode de conditionnement et à l’environnement. Aussi, les documents ne peuvent être numérisés en l’état.

Une chaîne complète de travail a été initiée dans les ateliers de Sablé allant des petites réparations à la reproduction :

  • opérations de remise à plat, réparation, doublage ;
  • dépouillement et titrage des films ;
  • prise vue sur film 35 mm et maintenant numérisation.

90 000 feuillets de journaux sont ainsi traités chaque année.

Nous exposerons ces opérations en donnant une estimation du temps nécessaire à leur réalisation.

Les dégradations mécaniques et physiques, les conditions de conservation

Effet du stockage vertical

Lors de leur collecte par le dépôt légal, les journaux arrivaient, tout comme chez l’abonné aujourd’hui, pliés en quatre ou en huit dans le sens de la hauteur et maintenus par un bandeau fixé au journal par un point de colle ou par l’intermédiaire du timbre postal. De ce routage des documents, résultent un pli médian horizontal à mi-hauteur, très marqué, et deux ou quatre plis secondaires, moins marqués, situés symétriquement de part et d’autre de ce pli médian. Ces plis non seulement gênent la lisibilité du texte mais rendent délicate la manipulation du document lors de la reproduction.

Destinés à avoir une durée de vie assez brève, le papier de ces journaux est de qualité très médiocre. Ces papiers encollés en milieu acide avec du sulfate d’aluminium et du savon de colophane s’autodétruisent par hydrolyse acide. Ils représentent les plus anciens papiers à base de pâte mécanique –introduite vers 1880 – et constituent sans doute, les documents les plus fragiles des collections de la BnF pour lesquelles, une annexe à Versailles avait été spécialement construite en 1935. Toutefois, les conditions de conservation se sont révélées insuffisantes : climat très fluctuant, mais surtout excès de lumière accélérant les phénomènes de dégradation par photo oxydation. En 1995, le transfert de ces collections de Versailles au site François-Mitterrand a permis de stocker une partie de ces publications périodiques dans un environnement plus stable sans qu’ils soient tous magasinés à plat. Leur fragilité intrinsèque entraîne quotidiennement des refus de communication aux lecteurs sont quotidiens. Les rendre communicables physiquement imposerait de les doubler tous entièrement ; dans ces conditions, la reproduction de ces supports très consultés demeure indispensable.

Évolution des modes de renforcement, de réparation et de conditionnement

Plusieurs méthodes se sont succédées en fonction des techniques et de l’état des documents.

Dans l’atelier de restauration de l’annexe de Versailles, les réparations pouvaient se faire au cas par cas, en fonction des demandes de communication. Les journaux étaient doublés sur une ou deux faces à l’aide d’un papier fin (type Bolloré®) et de colle de pâte diluée. Le document devenait un peu cartonneux et rigide mais assez solide pour être consulté.

Au centre de Provins, les journaux étaient doublés, par thermo collage sur deux faces, à l’aide d’un voile de colle polyamide (Bifix ®) et d’un voile de nylon (Cerex®) puis ultérieurement avec un composite, voile de nylon + colle acrylique (ABF®). La transparence était parfaite, le document devenait indéchirable mais il augmentait de 30% en épaisseur.

À Bussy Saint-Georges, une station de renforcement par clivage a été mise en place. Le clivage consiste à dédoubler le journal en deux parties dans le sens de l’épaisseur, puis à intercaler et coller une âme résistante en papier de chanvre ou papier japon. Mais cette technique n’est performante qu’en mode industriel. Utilisée en mode manuel, elle est peu adaptée au format des journaux et s’est révélée lourde de mise en œuvre et fort coûteuse ; elle a été abandonnée.

A Sablé-sur-Sarthe, les journaux sont actuellement consolidés avec du Filmoplast R® – papier japon 8.5 gr/m² enduit de colle acrylique activable à chaud. Les déchirures et les marges sont renforcées avec des bandes de 2 cm et le doublage est effectué avec des rouleaux de 62 cm de large. Ce doublage complet prend 4 minutes par feuillet et coûte environ 1,5 €.

Trois formes de conditionnement de conservation et traitements adéquats

Trois formes de conditionnement de conservation pour les journaux cohabitent à la BnF et induisent des traitements adéquats.

Les journaux reliés

Jusqu’en 1870, les journaux sont très majoritairement reliés, en papier de qualité correcte et donc généralement reproductibles en l’état. Le stockage vertical de ces reliures induit des contraintes dans le corps d’ouvrage et les plis d’origine peuvent se reformer partiellement, cependant ces journaux constituent les documents les moins endommagés. Après 1870, le taux de reliure devient faible, le format augmente (50 à 70 cm de haut). Ces journaux reliés sont caractérisés par une couture « surjetée » qui empiète de 3 à 5 mm sur les marges intérieures. La qualité du papier baisse avec l’introduction de la pâte mécanique rendant le papier jaune et cassant en vieillissant. Avant la reproduction du document, il faut stopper les amorces de déchirures dans les marges extérieures. Il est aussi nécessaire de décoller parfois les feuilles de garde qui empiètent sur le texte aux marges intérieures des premiers ou derniers feuillets. Ces opérations permettent une bonne remise à plat des feuillets et améliorent la lisibilité du document. Toutefois, la planéité du document est parfois impossible à obtenir sans endommager les feuillets tant le papier est cassant. Dans ce cas, il est préférable d’accepter une « courbure du texte » même si l’OCR en pâtit sur cette zone.

Pour un document avec peu de déchirures, il faut près de 30 minutes à une heure de préparation pour un volume d’épaisseur moyenne d’environ 200 feuillets.

Les journaux en paquets kraft

Les journaux en paquets kraft constituent le conditionnement d’origine pour pallier l’urgence face au foisonnement des entrées par dépôt légal jusqu’à la première moitié du XXe siècle. Les liasses constituées d’une ou deux années de publication (100 à 150 fascicules) sont formées de journaux pliés en deux. Selon les périodes chronologiques, le pli médian, situé au bord de la liasse, est plus ou moins abîmé par les dégradations mécaniques et physiques, à cela s’ajoute les problèmes de planéité causés par les plis secondaires. Sur la tranche chronologique 1880-1910, ce pli médian horizontal est excessivement fragile. Très jauni, le papier se déchire au pli à la moindre sollicitation : dans ce cas la consolidation avant reproduction est indispensable.

En règle générale, la préparation de ces documents nécessite :

  • une ouverture du fascicule, souvent contrariée par les plis secondaires qui s’accrochent ensemble d’un feuillet à l’autre ;
  • une remise à plat de tous les plis à l’aide d’une spatule chauffante ou mieux d’un fer à repasser ordinaire ;
  • un renforcement à l’aide d’une bande posée verticalement sur les 2 marges latérales sur 5 cm au moins, voire sur toute la hauteur des marges quand le papier est très fragile.

Pour les documents qui comportent de nombreuses amorces de déchirures, par exemple celles dues aux ficelles des paquets kraft, il convient de procéder à un doublage complet sur une face du feuillet endommagé, ce qui prend 4 minutes. Un doublage complet du premier et du dernier fascicule de la liasse – souvent les plus dégradés – s’impose et permet d’obtenir un ensemble plus facile à manipuler. Le taux de doublage complet sur un paquet de 150 fascicules varie souvent de 2 à 6 %, mais dans des cas peu fréquents il peut atteindre 20%. Lors du nouveau conditionnement, après consolidation, tous les fascicules doivent être bien alignés, la liasse formée est de nouveau emballée d’un papier kraft aussi large que la hauteur des journaux avant d’être placée dans une boîte bien ajustée au format. Ce kraft facilitera ultérieurement la manipulation de la liasse lors du dépouillement et de la prise de vue. La préparation d’une liasse prend 4 à 5 heures de travail selon l’état du papier.

Les journaux en boîtes cartonnées dites Cauchard®

Pli médian et secondaire

Les documents ont été re-conditionnés en boîtes cartonnées rigides dites Cauchard® entre 1991 et 1996 à Versailles avant le déménagement des collections vers le site François-Mitterrand pour faciliter le récolement et le transfert. Malheureusement ces boîtes ont été, pour la plupart, stockées verticalement sur la largeur. Sous l’effet de la contrainte permanente due à son poids, la liasse s’affaisse d’autant plus si elle n’est pas bien calée dans la boîte. Dans ces conditions, le pli médian des fascicules se reforme et s’accentue au point de provoquer une déchirure tout le long du pli médian. Lors de la réparation des documents avant reproduction, les parties supérieures et inférieures des fascicules doivent être remis en concordance par un doublage complet. Si la mise en boîte fait gagner du temps au dépliage, ce conditionnement, propice à la communication, augmente les temps de réparation a minima par les opérations supplémentaires tel que le doublage complet : il en résulte un temps de traitement supérieur de 10% à 20% à celui des documents conditionnés en paquets kraft.

Conclusions

Fort de notre expérience dans cette activité, nous pouvons tirer quelques conclusions pratiques pour les activités de consolidation/reproduction de ce fonds.

Quel que soit le mode de conditionnement, le temps passé à la préparation des documents avant la reproduction par microfilmage ou numérisation, ne peut être minoré et conditionne la qualité et la facilité de la prise de vue. Ceci est particulièrement vrai pour les deux derniers types de conditionnements (kraft et boîte). Il n’est pas rare de rencontrer des documents proches de l’état de ruine où le papier casse à la moindre manipulation, les consolider est essentiel. Ce travail nécessite de l’adresse, du doigté et de l’expérience pour réparer de manière idoine ce papier journal en passant le minimum de temps par fascicule.

Consignes pour le magasinage

Le conditionnement en liasse ou en paquet kraft est à éviter. L’idéal pour ces formats de journaux au papier cassant serait un stockage à plat dans des boîtes. Pour des raisons de contraintes d’espace, si le stockage vertical des boîtes est la seule alternative, il vaut mieux, les stocker sur leur plus grand coté ; les fascicules à l’intérieur de la boîte s’ouvrant vers le haut. (Le pli d’articulation formant la zone la plus rigide et donc la moins sujette à l’affaissement doit être placée en bas. Le pli médian en sera moins contraint). Dans tous les cas, les boîtes doivent être rigides et remplies au maximum avec des attaches solides pour maintenir la boîte close.

Le choix du matériau des boîtes importe pour une conservation pérenne. Le polypropylène cannelé convient à la rigueur pour les petits formats in quarto mais se déforme facilement sous une contrainte permanente (phénomène de fluage). Pour les grands formats, on préfèrera les boîtes en carton rigide qui restent mécaniquement les plus adaptées. Si les formats sont semblables, on pourra les empiler à plat sur 4 ou 5 niveaux : stockage tout à fait adapté pour des collections peu communiquées ou déjà reproduites. Enfin, il faut limiter au strict minimum l’exposition à la lumière de ces papiers à base de pâte mécanique particulièrement sensibles à la photo-oxydation (cf. Désacidification et renforcement de masse des papiers acides et fragilisés : rapport d’étude. Centre national d’évaluation de photoprotection, Clermont-Ferrand, 1997).

Consignes pour la consolidation des documents

Lors des traitements, les documents doivent être transportés à plat sur des chariots à tablettes. Pour les opérations de consolidation et de mise à plat : le dépliage à froid de documents cassants est à proscrire, mieux vaut s’en abstenir et laisser les documents en l’état. Dans le cas de journaux sous papier kraft, par exemple, on interviendra le jour même de la reproduction pour les opérations de dépliage à chaud, de réparation et de reconditionnement en boîte des documents. À partir des années 1920, les journaux peuvent être dépliés sans dommage car leur dégradation n’est pas encore trop prononcée mais vu leur état de conservation, le temps est compté.

Les journaux ont longtemps souffert d’une faible considération en tant qu’objet ou support. Aujourd’hui, ils représentent une part prépondérante des consultations sur Gallica. Cet intérêt constant des lecteurs n’empêche pas qu’ une politique de valorisation de ces documents soit poursuivie pour mobiliser les ressources qui participeront à leur sauvegarde. L’Inspection Générale des Finances, dans son rapport de janvier 2009, soulignait que 2% seulement de ces collections fragiles ont été numérisées ; à la Bibliothèque nationale de France, nous continuons donc cette tâche de longue haleine qui reste considérable mais qui permet déjà aux historiens et aux chercheurs de poursuivre leurs travaux en s’appuyant sur un fonds documentaire de premier ordre.