René Maran, précurseur de la négritude

Il y a cent ans, René Maran recevait le prix Goncourt pour son roman Batouala. À l’occasion de la réédition de ce texte, parfois considéré comme précurseur de la négritude, la BnF accueille une journée d’étude organisée en partenariat avec l’Académie Goncourt le mercredi 1er décembre 2021.

 

René Maran, portrait, Agence Meurisse - BnF, département des Estampes et de la photographie

Sous l’impulsion d’écrivains francophones noirs tels que Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire et Léon-Gontran Damas, le courant littéraire et politique de la négritude, né dans l’entre-deux-guerres, est bien connu. C’est moins le cas de René Maran (1887-1960) qui fut l’un de ses précurseurs – au positionnement malgré tout sensiblement différent. Né à la Martinique de parents guyanais, il fut fonctionnaire du ministère des Colonies en Oubangui-Chari (qui deviendra la République centrafricaine-RCA) et publia au cours de sa vie une vingtaine d’ouvrages – romans, recueils de poèmes ou biographies.

Avec son roman Batouala, sous-titré Véritable roman nègre, paru en 1921 chez Albin Michel, René Maran lance un gros caillou dans le marigot du fait colonial. Il obtient le Goncourt face, notamment, à Jacques Chardonne et déclenche un bel et durable esclandre. Ainsi peut-on lire dans Le Petit Parisien du 15 décembre 1921 ces propos cinglants, dont le racisme affiché fait froid dans le dos : « M. René Maran, administrateur colonial, domicilié à Fort-Archambault, à deux journées de marche du lac Tchad, au milieu de Noirs qui lui ressemblent comme des frères, a reçu hier le prix Goncourt. […] C’est la première fois que les Noirs jouent et gagnent […] ; sa grande qualité de nègre […] a séduit les dix de l’Académie Goncourt épris de couleur et d’étrangeté. »

À la lecture de Batouala, qui suit l’itinéraire et les réflexions d’un grand chef du pays banda sur le déclin, on perçoit bien ce qui a captivé les jurés : l’originalité intrépide de Maran, son style poétique allié à des qualités d’observation précises du terrain, au sens ethnographique du terme, comme en témoigne cette  somptueuse description de la brousse : « L’air frais vient, fuit, revient, caresse. Et produisent les arbres un musical frisselis de mille feuilles mouillées. Et frémissent les cimes des hauts fromagers. Et, entre-choquant leurs longues tiges flexibles, les bambous longuement gémissent. » Le roman apporte sur la colonisation un regard critique, d’abord dans la préface qui en est une vive dénonciation, mais également au sein du récit lui-même, notamment à travers le point de vue du personnage éponyme, Batouala. Maran adopte, pour décrire les Blancs et leurs curieuses manies, une distance souvent comique : « […] se garantir les yeux de verres blancs ou noirs, ou couleur de ciel, par beau temps, ou couleur ventre de gendarme ! Mais se couvrir la tête de petits paniers ou de calebasses d’espèce singulière, voilà, N’Gakoura ! qui tourneboulait l’entendement. »

Batouala ressort cet automne dans une édition préparée et augmentée par Stéphane Barsacq, avec une préface de l’académicien Amin Maalouf, lui-même prix Goncourt en 1993. Gageons que ce roman centenaire agitera à nouveau les esprits.

Monique Calinon

Article paru dans Chroniques n° 92, septembre-décembre 2021