Sarah Hassid – À la croisée des arts
Quand Sarah Hassid retrace le chemin qui l’a menée du conservatoire, fréquenté dès l’enfance, à l’université Paris 1 où elle vient d’être élue maîtresse de conférences en histoire des arts visuels du XIXe siècle, il est beaucoup question de chance. Et de rencontres aussi fortuites que déterminantes, avec des personnes comme avec des objets de recherche.
Le XIXe siècle, une période de prédilection
Au fil du récit de son double cursus en musique et histoire de l’art, Sarah Hassid cite volontiers les noms des enseignants qui l’ont accompagnée. Parmi eux, Jean-François Boukobza, au conservatoire d’Aubervilliers-La Courneuve où elle obtient son diplôme d’études musicales, puis Florence Gétreau, au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, qui l’initie aux disciplines de l’iconographie musicale et de l’organologie (étude des instruments de musique, de leur histoire et de leurs représentations).
Mais sa grande rencontre, c’est celle du XIXe siècle. Elle y trouve une période de prédilection, dans laquelle elle plonge dès son mémoire de master 2, soutenu en 2011 à l’École du Louvre, sous la direction de François-René Martin. Son sujet semble résulter d’une succession d’heureux accidents : « J’ai cherché de façon très empirique et j’ai découvert par hasard l’amitié entre le peintre Odilon Redon et le compositeur Ernest Chausson, explique-t-elle, puis je me suis penchée sur le salon où ils se sont rencontrés et j’ai trouvé à la bibliothèque municipale de Lyon le journal intime inédit tenu par son hôtesse, Berthe de Rayssac. »
Le goût de la transdisciplinarité
Le salon, lieu de contact de tous les arts, contient l’essence de ce qui devient le matériau principal des travaux de Sarah Hassid, le dialogue des arts. « Au cours de l’histoire, les disciplines n’ont jamais cessé de tisser des liens entre elles, note-t-elle, mais ça se joue de manière inédite au XIXe siècle, avec une remarquable synergie. » Souvent étudiée dans le domaine allemand, cette synergie des arts l’est beaucoup moins dans le champ français sur lequel la chercheuse choisit de faire porter sa thèse de doctorat, consacrée à l’imaginaire musical et la peinture, soutenue en 2019 sous la direction de Pierre Wat et François-René Martin.
C’est dans le cadre de sa thèse qu’elle croise la figure du compositeur et musicographe Jean-Georges Kastner (1810-1867), auteur d’une œuvre considérable. Cette nouvelle rencontre est un émerveillement : « Je suis tombée sur les livres-partitions de Kastner consacrés à la harpe éolienne, aux sirènes et aux danses des morts, et j’ai été immédiatement captivée ! » Elle détecte dans cet érudit touche-à-tout un pionnier aux préoccupations avant-gardistes : ses recherches sur la culture populaire ou l’acoustique, sur l’étude de la voix parlée et des bruits de la nature, ainsi que son ouverture à des aires géographiques extra-occidentales sont au cœur des enjeux actuels de la musicologie. C’est là un sujet tout indiqué pour répondre à l’appel à projet lancé conjointement par la BnF et l’école universitaire de recherche Translitterae, qui soutient des travaux à la frontière entre plusieurs champs disciplinaires et qui vise à rapprocher le monde du patrimoine et celui de la recherche.
La reconstitution d’un fonds
Quand Sarah Hassid entame son post-doctorat en 2020, elle sait que la BnF possède des ouvrages et quelques manuscrits de Kastner, sommairement décrits dans le Catalogue général. Guidée par Catherine Vallet-Collot, cheffe du service des Collections patrimoniales au département de la Musique, elle découvre avec un enthousiasme croissant des boîtes et dossiers d’archives qui contiennent des partitions, des documents et des papiers personnels non catalogués : ils donnent à voir la façon dont Kastner, aidé de sa femme Léonie, composait ses pièces musicales et travaillait à ses ouvrages musicographiques en assemblant une masse extraordinaire de documentation.
Au détour d’une note de bas de page dans un article récent sur Joseph Bodin de Boismortier, elle apprend que deux inventaires après décès de la bibliothèque du musicographe et de l’un de ses fils, Albert Jean-Jacques Kastner, se trouvent aux Archives nationales. Ces inventaires livrent à leur tour une surprise de taille : le deuxième fils des époux Kastner avait légué en avril 1890 les archives et la bibliothèque musicale de ses parents à la bibliothèque du Conservatoire de Paris – rattachée depuis 1935 à la Bibliothèque nationale. L’enquête permet ainsi de démêler un bout de l’histoire des collections musicales de la BnF : les manuscrits et imprimés du couple Kastner constituent un véritable fonds.
Ainsi identifié et mieux signalé avec l’aide de François-Pierre Goy, conservateur au département de la Musique, il peut désormais être étudié sous différents angles – de la musicologie à l’anthropologie en passant par les études féministes qui pourront se pencher sur la figure de Léonie Kastner-Boursault. « De belles surprises, parfois déstabilisantes, qui invitent à modifier l’approche de départ, à revoir le calendrier de travail, mais aussi à travailler en groupe, en s’ouvrant à d’autres angles d’étude, d’autres visions », résume Sarah Hassid, avant de conclure dans un sourire : « C’est ça, la recherche ! »
Mélanie Leroy-Terquem
Article paru dans Chroniques n° 92, septembre-décembre 2021