Silence ça joue
Après des études au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, William Besserer a rejoint à l’automne 2022 le département Son, vidéo, multimédia de la BnF en tant que musicien-chercheur associé. Il y travaille sur un projet d’étude de l’évolution de la musique dans le jeu vidéo.
Chroniques : Vous êtes musicologue et saxophoniste de formation, spécialisé dans l’improvisation, issu d’un parcours qui peut sembler éloigné de l’univers du jeu vidéo…
William Besserer : J’ai commencé la musique et le jeu vidéo au même moment, vers cinq ou six ans, avec mon grand-frère : il avait une console Sega Mega Drive et il apprenait le saxophone. Je suis un gamer intensif, j’aime vraiment beaucoup jouer ! Mais j’ai aussi très tôt été sensible à certaines musiques de jeux vidéo. Dans Duke Nukem, un jeu de série B dans lequel le joueur incarne un type blond et musclé qui tue des aliens, la musique d’inspiration heavy metal m’a beaucoup marqué. Puis il y a eu le thème musical de GoldenEye 007, avec son esthétique proche du rock progressif, ou encore la musique d’ouverture de Zelda Ocarina of Time qui doit beaucoup aux Gymnopédies d’Erik Satie… Quand j’ai entamé un master de musicologie au Conservatoire, j’ai découvert le concept d’œuvre ouverte, la notion d’écoute réduite ou celle de musique d’ameublement, qui ont fait l’objet de travaux de Boulez, Schaeffer et Satie. J’y ai vu un écho à mon expérience de gamer et à la place qu’occupent le son et la musique dans le jeu vidéo. Ça a été mon entrée en ludomusicologie.
Ce terme, qui désigne la musicologie appliquée aux jeux vidéo, recouvre une discipline récente, née en Amérique du Nord : comment a-t-elle été accueillie au Conservatoire de Paris ?
Mieux qu’on ne pourrait l’imaginer ! J’ai envisagé de consacrer mon premier mémoire d’analyse à la musique de Get Even, un jeu d’action sorti en 2017. Son intrigue repose sur la confusion entre réel et virtuel, avec une construction sonore et musicale complexe, élaborée par Olivier Derivière. Je pensais que ce type de recherche, encore peu répandu en France, susciterait des réticences. Tout comme la musique de film, la musique de jeu vidéo est parfois perçue comme un genre secondaire ou un objet d’étude peu légitime. Or mon professeur d’analyse musicale, Claude Abromont, s’était beaucoup intéressé à la question et avait même composé de la musique de jeu vidéo dans les années 1980. Le second, Thomas Lacote, spécialiste du répertoire contemporain, m’a conforté dans cette voie. Par la suite, Rémy Campos, dans sa classe d’histoire de la musique, m’a encouragé à adopter une approche historique du sujet. J’ai consacré une étude au statut du compositeur de musique de jeu vidéo en France à travers le cas de la franchise Rayman, développée par Ubisoft. Tout en poursuivant la pratique du saxophone et de l’improvisation, j’ai pris goût à la recherche.
Vous connaissiez l’existence des collections vidéoludiques de la BnF ?
Jusqu’à très récemment, j’ignorais qu’il y avait des consoles et des jeux sur les étagères de la BnF… Pendant la crise sanitaire, Alexis Blanchet et Guillaume Montagnon sont venus présenter leur livre Une histoire du jeu vidéo en France, dans le cadre des « Rendez-vous du jeu vidéo ». La séance était retransmise en ligne et c’est comme ça que j’ai découvert cette collection prodigieuse, l’une des plus importantes en Europe. Alexis Blanchet avait été chercheur associé à la BnF dans les années 2000. Je me suis renseigné, j’ai appris que l’on pouvait obtenir le statut de musicien-chercheur associé et j’ai proposé un projet de recherche sur l’évolution de l’expérience sonore et musicale dans le jeu vidéo.
Comment travaille un ludomusicologue ?
Quand on fait de la recherche en ludomusicologie, il faut pouvoir analyser en détail la construction musicale du jeu, ce qui ne peut pas se faire en direct. Il faut enregistrer des sessions de jeu : c’est aujourd’hui une pratique courante chez les joueurs, qui diffusent parfois ces captations sur des plateformes dédiées. Les constructeurs de console proposent même pour cela des outils intégrés. Ces pratiques ont évolué très vite et peuvent se heurter, pour les chercheurs, à des contraintes d’accès. C’est le cas à la BnF où il n’est pas possible, pour l’heure, d’enregistrer de sessions de jeu. Une fois ces barrières levées, les perspectives de recherche sont extraordinaires. J’imagine par exemple un dispositif permettant d’analyser les parties de plusieurs joueurs pour comprendre le rapport entre l’immersion et la question sonore. L’expérience des joueurs m’intéresse beaucoup, car si l’on restreint l’analyse à la musicologie pure, on passe à côté de beaucoup de choses : le jeu n’existe pas sans le joueur !
Propos recueillis par Mélanie Leroy-Terquem
Entretien paru dans Chroniques n° 99, janvier-mars 2024