Un écrin pour des dessins de Maurice Genevoix
Niché sous les toits de la BnF I Richelieu, l’atelier de restauration du département de la Conservation rassemble une quinzaine de techniciens d’art spécialisés qui restaurent, relient et conditionnent les documents précieux des collections de la Bibliothèque. Les dessins de l’écrivain Maurice Genevoix (1890-1980) y ont fait l’objet récemment d’un conditionnement sur mesure.
Toutes les opérations effectuées au sein de l’atelier de restauration sont le fruit d’une collaboration étroite entre conservateurs et restaurateurs. Elles ont notamment pour finalités de « conserver dans les meilleures conditions des documents fragiles ou parfois très abîmés, et permettre qu’ils soient communiqués au public ou prêtés pour des expositions, explique Laurence Le Bras, cheffe du service des Manuscrits modernes et contemporains. Les dessins de Maurice Genevoix, entrés à la BnF sous forme de liasses au sein du fonds d’archives de l’écrivain acquis par la Bibliothèque en 2022, grâce au soutien de mécènes et de donateurs, nécessitaient un traitement spécifique qui réponde à ces objectifs ».
L’attachement de l’écrivain à la nature
Quelque 250 dessins au crayon, à l’encre, au feutre, au stylo bille, au pastel ou encore à l’aquarelle composent cet ensemble. Ils ont été exécutés par l’écrivain tout au long de sa vie, sur des feuilles volantes, dans les marges de ses manuscrits, sur des pages de brouillon, des lettres… Maurice Genevoix, qui dessinait depuis l’enfance, raconte en 1979, dans un entretien avec Lucien Barrat pour la Phonothèque nationale, avoir hésité entre une carrière de peintre, d’écrivain ou d’enseignant avant que la Première Guerre mondiale ne tranche en quelque sorte pour lui. Mobilisé, puis blessé en 1916, il est incité par l’un de ses professeurs à témoigner de ce qu’il a vécu sur le front et se lance dans l’écriture. Ainsi naissent les cinq volumes qui composent Ceux de 14, récit poignant de la guerre et de la vie des soldats dans les tranchées. Après s’être installé sur les bords de la Loire, Genevoix continue d’écrire et de dessiner. « Ses oeuvres reflètent son attachement à la nature, aux paysages de cette région. Il a vu la dévastation des champs de bataille, et a par ailleurs très tôt conscience des désastres écologiques du siècle », poursuit Laurence Le Bras. Il croque des oiseaux, chevaux, renards, lapins, cerfs et biches, chiens, serpents, insectes – plus rarement des êtres humains, sous forme de portraits ou de caricatures. Un grand nombre des dessins de cet ensemble sont des illustrations réalisées pour la réédition en 1972 de ses trois volumes de bestiaires publiés en 1969 et en 1971.
Un projet cousu main
La restauratrice Frédérique Pelletier a conçu et réalisé un conditionnement original parfaitement adapté à la diversité des tracés, des supports et des formats : chaque dessin a été ré-enmargé, c’est-à-dire monté sur une feuille de papier de plus grande dimension qui le met en valeur, tout en préservant la découpe du papier initial. Puis les feuillets ont été répartis par format dans trois boîtes compartimentées, recouvertes d’un dos en cuir et d’un papier marbré sélectionné parmi les modèles que Frédérique Pelletier crée pour l’atelier. « Dans ce type de projet que je mène de bout en bout, je travaille étroitement avec le conservateur », précise la restauratrice. C’est ainsi que s’est fait le choix de conserver les dessins dans des boîtes plutôt que dans un volume relié, pour répondre pleinement au double objectif initial : faciliter à la fois la communication aux chercheurs et les prêts pour exposition, tout en assurant une conservation optimale. « C’est l’avantage d’un atelier en interne, physiquement proche des collections : à la moindre hésitation, on discute, on réajuste, ajoute-t-elle. Les discussions en cours de travail permettent de faire évoluer nos réponses techniques et esthétiques, ce qui, d’un point de vue professionnel, est très enrichissant. Et puis on n’a jamais autant d’idées que quand on travaille à plusieurs ! »
Les dessins de Genevoix sont désormais conservés dans les magasins du département des Manuscrits au sein de leur écrin de papier qui est, lui aussi, une véritable création.
Sylvie Lisiecki
Article paru dans Chroniques n° 102, janvier-mars 2025